jeudi 14 mai 2020

Les Aventures de Dick Herisson, tome 9 : Le 7ème cri

HÎÎÎÎÎÎK !

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu (1998) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 2000. Il a été réédité dans Dick Hérisson - édition intégrale volume 2 qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 46 planches de bande dessinée.


Dans les années 1930, au muséum d'histoire naturelle de Paris, le conservateur Abel Glansec finit d'écrire une lettre adressée au directeur du muséum. Il la met dans une enveloppe, et la pose en évidence sous un crâne sur son bureau. Il sort en prenant son chapeau, ne répond pas à ses collègues qui le salue, et se rend au zoo, devant la fosse aux ours. Il retire posément sa blouse, enjambe le parapet et saute dans la fosse où il est dévoré par deux ours. Le lendemain, Dick Hérisson prend le train et lit le gros titre de la une du journal qu'est en train de lire le voyageur assis en face de lui : un suicide peu ordinaire, avec une représentation d'artiste de Glansec dans les pattes d'un ours. La conversation s'engage et le monsieur demande au détective s'il a déjà entendu parler de l'expédition Schnapsberg - Malhet. Il s'en souvient : une expédition au Tibet. Son interlocuteur lui rappelle que tous les membres de l'expédition ont échappé de peu à la mort : Auguste-Philippe Pincechat avec un cancer, Glansec seul rescapé du déraillement du Paris-Brest. Hérisson ajoute que son ami Félix Langoulvent a survécu par miracle après avoir été laissé pour mort par des bandits mexicains. Le monsieur ajoute que Malhet lui-même se faisait sauter la cervelle l'an dernier. Le train s'arrête à Kerpolic, et Dick Hérisson prend congé car il descend là.

Dick Hérisson se retrouve sur le quai de la gare de Kerpolic et constate que son ami Langoulvent n'est pas venu le chercher. Il hèle un employé et lui demande où il peut trouver un taxi. La réponse : il n'y en a pas, Dick Hérisson est bon pour marcher jusqu'à Crech'Morloc, une heure à pied à travers la lande, en suivant bien le chemin. Il suit bien le sentier comme recommandé, mais il arrive à une bifurcation sans indication. Il se fit à son sens de l'orientation et entend bientôt un gémissement bizarre. Il se rend compte en contournant un rocher qu'il s'agit d'un marin, Alcibiade Le Goulec, qui joue de la cornemuse. Le marin le rassure : Crech'Morloc se trouve juste derrière la dune, par contre Hérisson va devoir passer la nuit à l'auberge car le manoir se trouve de l'autre côté d'un bras de mer et n'est accessible qu'à marée basse. Dick Hérisson va prendre une chambre à l'auberge du Crabe Vert en se recommandant de Le Goulec. Alors qu'il fume sa pipe à la fenêtre, la femme de chambre accorte lui apporte une tisane, offerte par la maison. La nuit, Dick Hérisson est tiré de son sommeil par un gémissement insistant. Il se lève et descend voir au rez-de-chaussée. Dans une chambre, il observe une scène étrange : 5 personnes en habit de deuil autour d'un lit. Dans le lit, se trouve une femme qui émet le gémissement. Bientôt une sorte d'ectoplasme sort de sa bouche et il se forme une image : un homme court sur la lande, vers un phare. Hérisson le reconnaît : il s'agit de Langoulvent.


Didier Savard maîtrise l'art de la séquence introductive à la perfection : un beau plan d'ensemble sur la façade du muséum d'histoire naturelle de Paris, une première planche muette, deux bulles de dialogues dans la case supérieure de la deuxième page, et à nouveau des cases muettes pour les planches 2 & 3. Le lecteur retrouve sa minutie dans le rendu des bâtiments : l'exactitude avec les bâtiments et statues existants, la taille et la granulosité de la pierre. Par la suite, il peut admirer de la même manière une petite gare de province (à Kerpolic) déserte et plus vraie que nature, un beau château en Bretagne avec sa grille d'entrée en fer forgé et son propre phare, ka somptueuse demeure des Malhet et son domaine, une église à Arles, l'un des musées de Marseille, des bâtiments industriels d'une usine de fabrication de locomotive. Planche 23, il découvre une petite case correspondant à une vue du ciel partielle d'Arles, avec les arènes au premier plan, attestant de l'investissement de l'artiste pour donner à voir les différents lieux. Les décors intérieurs sont tout aussi soignés : l'aménagement du bureau d'Abel Glansec, la chambre de l'auberge du Crabe Vert, le salon du château de Langoulvent, l'institut médico-légal de Saint-Brieuc, le salon du château des Malhet avec sa belle bibliothèque, son hall d'entrée avec une arche et un très bel escalier avec sa rampe en fer forgé, les piliers et les arches de l'église fréquentée par Axel Malhet, l'intérieur plus simple de la maison de Jérôme Doutendieu, le spacieux bureau de Léon Malhet dans les locaux de l'usine de locomotive. Pour ce bédéaste, les lieux ont une histoire et une importance primordiale dans le déroulement du récit, et il apporte un soin remarquable à les décrire pour leur donner de la consistance.

Cette séquence introductive toute en image installe également tout de suite le mystère : un suicide inexpliqué, effectué par un individu quadragénaire, très posé, très calme, très méthodique absolument pas sous l'emprise de l'émotion. Découvrant la planche 4, le lecteur pense immédiatement la première planche de l'album Les 7 boules de cristal de Tintin, avec la discussion sur le retour des membres d'une expédition au Pérou et du mal qui les frappe. Dès le début, le scénariste joue avec son lecteur : membres d'une expédition dans une contrée éloignée qui sont frappés d'une malédiction, bruits bizarres sur la lande bretonne la nuit, cauchemar prémonitoire, étrange transformation d'une jeune femme de chambre accorte le soir en une quadragénaire replète le matin, décomposition anormalement rapide des cadavres des suicidés, et une expédition dont les membres ont dû être recueillis par des moines tibétains pratiquant le chamanisme. C'est l'habitude de la série : introduire une touche fantastique plus ou moins plausible, mais en tous les cas raccord avec la référence aux aventures d'Harry Dickson et avec l'esprit des romans d'aventures de l'époque. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut choisir de prendre cette approche pour de la dérision respectueuse, ou de se prêter au jeu d'y croire. Il constate que comme à son habitude Didier Savard prend plaisir à installer un climat étrange à la saveur surnaturelle, Hérisson et Doutendieu ne sachant pas trop sur quel pied danser, ce qui fait hésiter le lecteur quant à l'attitude à adopter, premier ou second degré. Il remarque aussi que l'auteur ne se sent pas tenu de tout expliquer, en l'occurrence la décomposition accélérée des cadavres.


Le lecteur prend également grand plaisir à observer les personnages, leurs postures, leurs expressions. Après le calme imperturbable d'Abel Glansec, il regarde les expressions blasées de l'interlocuteur d'Hérisson dans le compartiment, visiblement un individu sûr de ses conclusions, l'étonnement d'Hérisson sur la lande en entendant ce bruit inquiétant, le flegme de la serveuse de l'auberge (se déplaçant en charentaises), l'entrain de Jérôme Doutendieu en train de réfléchir aux informations dont ils disposent avec Hérisson, la gentillesse assurée de Véra Malhet, la prévenance polie de Léon Malhet, l'imperturbabilité d'Axel Malhet visiblement plus dans son monde que dans la réalité. L'artiste décrit des adultes se comportant comme tels, avec une personnalité bien affirmée. Au fur et à mesure que l'enquête progresse, l'auteur surprend régulièrement son lecteur avec des images qui sortent de l'ordinaire : la ménagerie du muséum d'histoire naturelle, les cinq personnes vêtues de noir autour du lit d'une femme allongée dont une matière ectoplasmique sort de la bouche, la chute lente du cadavre assis sur le banc du jardin du Luxembourg, le rassemblement pour l'allocution politique de Léon Malhet, etc.

S'il a commencé la série avec le premier tome, le lecteur sait qu'il n'a pas grand espoir de trouver le coupable avant Hérisson & Doutendieu. Il se laisse donc porter par leur enquête : discussions avec les personnes concernées, nouveau suicide, découverte des liens entre les personnages, et une ou deux morts supplémentaires. Depuis le tome 6, il a remarqué que Dick Hérisson n'est pas un si bon détective que ça : il peut se tromper complètement, ou se faire mener en bateau. La remise en question de ses compétences par le lecteur atteint un autre niveau au cours de l'histoire. Hérisson ne fait pas le lien par lui-même entre les différents morts et l'expédition sur les plateaux de Kaddesh dans le désert de Golög : il faut que ce soit Doutendieu qui lui dise. C'est encore Doutendieu qui remarque l'indice déterminant pour trouver le coupable, en planche 35. Sans avoir l'air de rien, Didier Savard sape la figure du détective, en faisant en sorte que finalement Dick Hérisson se contente d'aller voir les personnes intéressées et de leur poser des questions, mais que le vrai travail de déduction est effectué par Jérôme Doutendieu. Ce qui pouvait s'apparenter au hasard des avancées de l'enquête dans les tomes précédents devient une évidence dans celui-ci.

À nouveau Didier Savard reprend les conventions narratives des aventures d'Harry Dickson et de la littérature de ce genre à cette époque, pour les faire siens et raconter une enquête teintée d'un parfum de surnaturel. S'il se prête au jeu, le lecteur prend grand plaisir à cette possibilité d'une malédiction en provenance d'un pays mystérieux dans les années 1930, propice à enflammer l'imaginaire. Il peut se projeter dans des lieux consistants et spécifiques. S'il y prête attention, il se rend compte que l'auteur se montre subtilement facétieux envers son personnage principal, et donc avec les conventions du roman policier.


2 commentaires:

  1. Aaah !... Un "Dick Hérisson" !...
    "Abel Glansec" ? Hum... Outre le jeu de mot vaseux, la référence est claire.
    J'adore ton quatrième paragraphe. Je ne me lasse jamais de ces passages spécifiques qui font l'originalité de tes chroniques.
    J'ai pensé dès le départ aux "Sept Boules de cristal". Ces histoires de malédiction m'ont toujours passionné.
    Cette remise en question des compétences du détective semble être un leitmotiv de la série.

    RépondreSupprimer
  2. Oui, la référence est claire (et je n'y avais même prêté attention, des fois je me demande où j'ai la tête).

    La remise en question de compétences du détective : au départ, je n'y avais pas prêté attention. C'est en lisant un autre article sur la série que j'ai eu la puce à l'oreille. C'est net dans certains tomes (Dick Hérisson échoue à trouver le coupable, ou Jérôme Doutendieu fait tout le travail de déduction) ; c'est moins flagrant dans d'autres.

    RépondreSupprimer