mercredi 18 septembre 2019

Les Bidochon, Tome 19 : Internautes

Je ne vais pas sur les sites pornos !!

Ce tome fait suite à Les Bidochon voient tout, savent tout, tome 18 (2002) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir vu avant. La première parution date de 2008. Il est écrit, dessiné, et encré par Christian Binet. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc qui compte 45 planches.

Robert Bidochon a acheté son premier ordinateur personnel et il est temps de le brancher. Il a fait tout le câblage, Raymonde étant avec lui pour l'assister, le manuel à la main. Alors que Robert lui demande ce qu'il doit faire du port USB, elle découvre que le manuel comprend le numéro de téléphone d'une certaine Line, et qu'en plus celle-ci se vante d''être chaude. Une fois connecté l'ordinateur ne se met pas en marche, malgré l'attente patiente des époux Bidochon pendant toute la nuit. Il ne reste plus à Robert qu'à appeler ladite Line, sous le regard soupçonneux de Raymonde. Le lendemain, leur ami René vient leur expliquer comment envoyer un courrier électronique et comment en ouvrir un. Robert est littéralement fasciné par cette prouesse de communication. René revient le lendemain, un peu lassé par le courriel répétitif et obsessionnel de Robert, et il leur apprend cette fois-ci à trouver un correspondant international, tout en expliquant qu'il convient de respecter la nétiquette. Avec l'aide de Raymonde, Robert écrit une phrase en anglais. Le lendemain, René revient pour expliquer comment acheter sur Internet, par exemple une robe à pois pour Raymonde.

Robert Bidochon est toujours aussi enthousiaste devant les possibilités de l'informatique : il teste le nombre de réponses renvoyées par le moteur de recherche, pour des mots comme Chercher, Trouver, Trou, Ver, Puits. Finalement il demande au moteur de recherche de Chercher Dieu et le trouver. Un vieil homme chenu et barbu apparaît assis sur le canapé, en longue robe blanche, avec une auréole triangulaire au-dessus de la tête. Raymonde s'énerve et fait apparaître Louis XVI sur le canapé pour montre à son mari qu'on trouve tout ce qu'on veut sur Internet mais que ça reste virtuel. Le lendemain, Raymonde Bidochon sort pour faire les courses : Robert a le champ libre. Il commence par faire apparaître une échelle, puis Dieu, puis une tondeuse à gazon, et il peut enfin aller sur un site dont il a mis l'adresse de côté : femmes très chaudes, vidéos 100% gratuites. Mais il ne tombe pas sur la page qu'il souhaite, étant redirigé automatiquement sur d'autres pages à caractère pornographique très spécialisé, pas du tout à son goût. Raymonde revient : Robert change immédiatement de page, mais il reste une sorte d'anthropoïde velu évoquant vaguement un loup, assis sur le canapé du salon, avec un verre à la main et désignant Robert sous le nom de Tovarich. Pas de doute : il a chopé un virus, probablement un cheval de Troie.

Pourquoi un tome des Bidochon plutôt qu'un autre ? Pourquoi pas ? Il est possible de les lire dans l'ordre, d'en lire un au hasard de temps à autre, de n'en lire qu'un seul, de se sentir attiré par un thème. En effet cet album respecte à nouveau l'engagement implicite contenu dans le titre : des histoires courtes ayant toutes en commun de voir Robert Bidochon surfer sur Internet. Les saynètes ne sont pas séparées par un intertitre ou une page blanche. Le lecteur se rend juste compte qu'il passe de l'une à l'autre par le fait que le sujet change. Il y a ainsi 9 saynètes comptant de 2 à 6 pages. Robert Louis Bidochon est égal à lui-même : beauferie suffisante, Raymonde Jeanne Martine Bidochon (née Galopin) est toujours aussi gentille et tolérante, et un peu plus débrouillarde que son mari avec l'informatique. Au cours de ces séquences, René intervient à plusieurs reprises soit pour expliquer comment se servir d'une fonctionnalité de l'ordinateur, soit pour dépanner. Son épouse Gisèle et lui viennent manger un soir chez les Bidochon. Il y a donc très peu de personnages réels, mais plusieurs virtuels : ceux que Robert fait apparaître avec son moteur de recherche et qui se matérialisent d'abord sur son canapé, puis dans son salon.

Christian Binet n'a rien changé à sa manière de dessiner. Les Bidochon sont toujours des êtres humains représentés sous une forme caricaturale. Robert porte sa chemise blanche, avec son pantalon à rayures tenu par des bretelles, sans oublier son béret. À 3 reprises, il apparaît en pyjama, avec les rayures, sans oublier son béret. Raymonde est habillée de son chemisier banc, sa robe noire, et son tablier, et parfois en chemise de nuit. René a revêtu sa jolie veste à carreaux et son beau nœud papillon à pois. Tous les personnages sont affublés d'un gros nez, d'importants cernes sous les yeux, soulignés par une nuance de gris plus foncée. Les expressions de visage de Robert respirent le contentement de soi menacé par aucune remise en question, un état d'esprit blasé incapable de reconnaître la nouveauté même si elle l'embrassait sur la bouche, un enthousiasme enfantin et idiot, une panique coupable quand Raymonde revient alors qu'il consulte un site pornographique. Le lecteur est incapable de réprimer l'empathie qui s'empare de lui en regardant un individu aussi expressif. Il en va de même pour Raymonde, et pour la patience illimitée de René. Les décors varient du papier peint à rayure du salon, aux murs blancs de la salle à manger, sans oublier le canapé avec son tissu imprimé à motif de fleurs. Pourtant…

Pourtant, l'artiste surprend régulièrement le lecteur avec une image inattendue irrésistible : Robert et Raymonde regardant l'écran d'ordinateur depuis la cuisine où ils sont attablés, pour voir si une lumière s'allume, la posture accablée du monsieur de la Hot Line hébété par la bêtise de ses correspondants, Robert Bidochon sortant de toute urgence de son lit au son du tintement annonçant qu'il a reçu un courriel, le visage empli d'extase de Raymonde en train de lire son roman Vertiges d'amour, Robert comprenant qu'il a donné ses coordonnées bancaires à un site malveillant, ou encore le même hurlant sur le représentant virtuel de Viagra. Dans le cadre très contraint de saynètes sur l'utilisation d'un ordinateur, Binet se révèle un metteur en scène épatant rendant visuellement intéressante chaque page, grâce à des plans de prise de vue différents à chaque fois, et aussi grâce à l'idée que les sites consultés s'incarnent par un être humain (ou presque) sur le canapé. Avec un peu de recul, c'est une preuve du talent de conteur de Binet que de transformer des scènes éminemment statiques d'un gugusse en train de taper sur son clavier, en des pages variées et vivantes.



Bien sûr, Christian Binet n'a pas changé sa forme d'humour : Robert Bidochon est toujours aussi bête et sûr de lui, et toujours capable de s'enthousiasmer pour des choses simples voire évidentes, ou pour des idées qu'il est le seul à trouver géniales… et pour cause. En fonction de son état d'esprit, le lecteur peut trouver que certaines idées ne volent pas haut : ordinateur qui ne fonctionne pas parce qu'il n'est pas branché, visite de sites pornographiques et virus, répondre à des publicités automatiques pour recevoir plus de courrier, etc. On ne peut pas dire que qu'il s'agisse d'une analyse pénétrante et perspicace des transformations sociales et culturelles induites par l'outil Internet. En outre, cette bande dessinée date de 2008 et Internet a pris une dimension sans commune mesure depuis, se complexifiant de manière exponentielle. Le lecteur retrouve donc un humour fonctionnant sur un comique de caractère (celui de Robert, les interactions avec Raymonde), sur un comique absurde (l'apparition des individus sur le canapé, puis dans le salon, la salle à manger, la salle de bains), sur un comique de geste (les grimaces, les mimiques), sur quelques effets de répétition (le vendeur de viagra répétant sans cesse la même phrase : est-ce que votre femme est satisfaite ?). vu sous cet angle, il peut se produire un ressenti un peu gênant de se moquer ainsi d'un individu (2 en fait : Raymonde et Robert, et même 3 avec René dont la patience est mise à rude épreuve), de prendre comme cible un gugusse pas bien méchant dans le fond. 

Dans le même temps, il se produit un autre effet : le lecteur prend conscience qu'il éprouve également de l'empathie parce qu'il s'est déjà retrouvé dans une de ses situations ou une autre. Il a lui aussi hésité sur Internet, à se mettre à s'inquiéter sur les conséquences d'un clic trop rapide, à se demander comment un moteur de recherche peut répondre instantanément à n'importe quelle demande avec des centaines de milliers de réponse (c'est magique ?), à ressentir l'intrusion que constituent les spams, à se sentir très crétin quand une autre personne explique une évidence dans le maniement de l'outil. Le comportement de Robert Bidochon le renvoie à ses propres difficultés, ses propres postures pour faire face à la nouveauté, à un outil qu'il ne sait pas manipuler, à la complexité du monde, aux conséquences inimaginables et incompréhensibles de ses actions.

Encore un album des Bidochon : le lecteur sait à quoi s'attendre et il n'y a pas tromperie sur la marchandise. Robert Bidochon est égal à lui-même dans sa suffisance très humaine, et Raymonde est toujours aussi patiente et gentille, avec plus de jugeote que son mari. Christian Binet croque ses personnages avec une justesse étonnante au vu du degré de caricature, et il réussit l'exploit de rendre intéressant un gugusse en train de taper sur son clavier. Par la force des choses, la satire perd un peu de son mordant, la technologie ayant évolué depuis, mais le lecteur finit immanquablement par reconnaître un de ses propres comportements chez Robert, et éprouver de l'empathie, teintée de sympathie.


2 commentaires:

  1. "La nétiquette" ? Énorme ! J'étoffe mon vocabulaire.
    À te lire, même si ce n'est pas forcément ton propos, j'en déduis que cet album est peut-être sorti trop tard pour être vraiment amusant. Effectivement, 2008... En même temps, ça me rappelle l’achat par mon père de ce qui fut notre premier ordinateur familial et tout ce qui en a découlé.

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  2. Je ne connaissais pas non plus le terme Nétiquette.

    Je ne sais pas si l'album est sorti trop tard, mais c'est sûr que je l'ai lu avec trop de décalage, 11 ans après sa sortie.

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