mardi 23 juillet 2019

Caroline Baldwin, tomes 9 : Rendez-vous à Katmandou

La solitude a tendance à me faire tout dramatiser.

Ce tome fait suite à
Caroline Baldwin, tome 8 : La Lagune (2002) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. La première édition date de 2003 et il est repris dans Caroline Baldwin Intégrale T3: Volumes 9 à 12. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les dessins et l'encrage.

Cela fait 3 semaines que Caroline Baldwin se trouve à Katmandou et qu'elle en arpente les rues. Elle va contempler le Stupa de Bodnath au temple Swayambunat, tout en pensant à sa maladie et au fait que qu'une personne va bientôt la rejoindre, tout en ayant conscience de dramatiser la situation du fait de sa solitude. À l'aéroport d'Austin au Texas, le professeur Chapman se fait héler par 3 agents du FBI qui l'emmènent à l'écart alors qu'il s'apprêtait à embarquer. Ils le rassurent sur le fait que son avion ne décollera pas sans lui. En fait, c'est une autre personne qui embarque sous le nom de Chapman : l'agent Gary Scott. 2 jours plus tard, ce dernier s'entretient avec l'ambassadeur des États-Unis à l'ambassade même de Katmandou. L'ambassadeur s'enquiert de sa santé : Scott répond qu'il se remet doucement de sa blessure. L'ambassadeur l'informe ensuite que sa valise est restée à Austin, mais qu'une consœur va lui apporter : Julia Peterson. Enfin, pince-sans-rire, il lui demande de ne pas mourir sur son secteur.

Le soir même, Gary Scott retrouve Caroline Baldwin dans un restaurant à l'étage dans un autre quartier de la ville. Il lui indique qu'il est là pour une mission, que sa valise est restée à Austin, et que c'est Julia Peterson qui va lui amener. Cette dernière est à Austin en train de fouiller ladite valise : elle y trouve un caleçon avec un motif de petits cœurs, des préservatifs et les médicaments de Caroline Baldwin. À Katmandou, Scott & Baldwin rentrent à l'appartement de Caroline, celle-ci étant très inquiète de ne pas avoir pu suivre son traitement depuis plusieurs semaines. Scott finit par la quitter pour aller accomplir sa mission, en lui intimant de rester là où elle se trouve jusqu'à ce qu'il reprenne contact avec elle. Caroline Baldwin décide d'aller vider quelques verres dans un bar. Alors qu'elle refuse de partir à l'heure de la fermeture, la propriétaire vient papoter un peu avec elle ; elle s'appelle Roxane Leduc. Julia Peterson est arrivée à Katmandou : dans la voiture en revenant de l'aéroport, elle explique à Gary Scott qu'elle va rester pour l'accompagner dans sa mission et quelle joue le rôle de la femme du professeur Chapman. Plus tard, alors qu'ils marchent dans la rue, elle l'embrasse fougueusement pour jouer son rôle, sans avoir conscience que Caroline Baldwin les épie.


Arrivé au neuvième tome, le lecteur connaît le principe de la série, et même attend qu'elle s'y conforme : l'auteur raconte une enquête de son héroïne, en nourrissant le récit de ses propres visites touristiques. Effectivement, il a effectué un trekking à Katmandou et dans la région en 2001, en compagnie de sa femme et d'un guide. Le lecteur le ressent immédiatement avec les 3 pages de la scène introductive où Caroline Baldwin déambule dans les rues de Katmandou, et le lecteur éprouve la sensation de regarder les photos souvenir de Taymans, avec les lieux touristiques inévitables à commencer par le Stupa de Bodnath au temple Swayambunat (temple des singes). Le flux de pensées de Caroline Baldwin s'avère assez détaché du lieu où elle se trouve : elle remarque bien qu'elle connaît le quartier par cœur, mais elle est entièrement préoccupée par les circonstances de sa situation. Elle pourrait se trouver dans une autre partie du globe, cela n'aurait pas plus d'incidence sur ses pensées. Du coup, cette première scène donne la sensation au lecteur de plus être dans l'album souvenir d'un touriste que dans un récit dont l'histoire définit les lieux. Cette sensation revient lorsque Gary Scott & Julia Peterson déambulent dans les rues de Katmandou, lors du rendez-vous sur le Dubar Square de Nhaktapur et pendant le trek au départ de Dhunche, et le second trek vers la rivière Trisuli.

D'un autre côté, ça reste toujours aussi agréable d'accompagner l'avatar de l'auteur dans ses déplacements touristiques. Le trait de Taymans est toujours aussi assuré et juste, avec un haut niveau de détails, tout en restant lisible. Ainsi sur la première page, le lecteur découvre 7 cases, comprenant toutes des paysages urbains de Katmandou. Le lecteur voit bien qu'il s'agit de photographies de l'auteur qu'il a redessinées. Il peut donc contempler par ses yeux ce qu'il a vu, se projeter sur place avec une part de ressenti par procuration. La nature descriptive des dessins en fait un reportage, de lieux croqués sur le vif, avec les usagers de la voie publique du moment. Du coup, il n'y a pas l'impression de feuilleter un album de souvenirs figés, mais bien une sensation de déambuler dans des endroits vivants, habités, dont la succession est rendue cohérente par le déplacement de l'héroïne. Cette immersion est encore plus immédiate lorsque que Gary & Caroline se retrouvent pour prendre un verre. Même s'il a encore plus l'impression de suivre André Taymans que Caroline Baldwin lors du trek à partir de Dhunche, la beauté des paysages, les cadrages choisis par l'artiste, les traits un peu secs et un peu appuyés par endroit rendent tellement bien l'impression donnée par le milieu naturel que le lecteur fait fi de ses premières réticences car il voit bien que la marche a un effet sur l'état d'esprit de Caroline et Roxane, que la première est très impressionné par le passage sur une chemin de planches à flanc de falaise, avec la sensation pour le lecteur d'y être vraiment. Du coup, il se rend compte qu'il est maintenant vraiment dans l'histoire, comme les personnages sont vraiment en relation organique avec leur environnement, et il apprécie de pouvoir faire une dernière marche un peu sportive du fait dénivelé, avec Scott et Peterson.


Malgré l'impression initiale de coller artificiellement à un dispositif narratif (placer l'héroïne dans un lieu touristique), le lecteur se souvient bien de la raison pour laquelle Caroline Baldwin se retrouve là : elle est toujours accusée de meurtre aux États-Unis, et elle n'a plus de papiers d'identité. Avec la deuxième séquence, celle à l'aéroport d'Austin, le scénariste introduit l'enquête de ce tome de manière incidente. L'auteur sait faire en sorte que Baldwin se retrouve au milieu d'une nouvelle affaire, de manière organique : du fait de son histoire personnelle, elle a côtoyé un agent secret qui vient la retrouver (pour une raison personnelle) en profitant de l'opportunité d'une mission qu'il a lui-même sollicitée. Le déroulement de l'intrigue repose à la fois sur la nature de la mission, et sur la personnalité des protagonistes. Il ne s'agit pas de héros d'aventure interchangeables. Le caractère de Caroline Baldwin lui fait prendre des décisions qu'un autre n'aurait pas prises. Gary Scott a un caractère bien trempé, et ses propres objectifs et priorités, ce qui dicte sa conduite. Le comportement de Julia Peterson reflète également sa personnalité et sa façon d'envisager ses missions, sa volonté de les accomplir conformément aux ordres reçus. Le lecteur est forcément décontenancé en découvrant la raison pour laquelle la CIA veut retrouver Tom Cusack, car elle semble sortie d'un chapeau. Dans une interview, André Taymans explique que c'était sa volonté de surprendre ainsi le lecteur par une référence à une affaire réelle sans rapport.


Dans ce tome, l'auteur insère d'autres références de différentes natures. Comme dans l'histoire précédente, André Taymans évoque des événements des précédents tomes : la blessure de Gary Scott dans Caroline Baldwin, Tome 7 : Raison d' État, la précédente rencontre avec Julia Peterson dans Caroline Baldwin, n° 2 : Contrat 48-A, ou encore l'inclusion de Roxane Leduc, héroïne d'une autre de ses séries Les tribulations de Roxane. S'il y prête attention, au détour d'une rue de Kamantdou, le lecteur reconnaît un autre personnage Jonathan (jeune voyageur suisse amnésique) de Cosey (Bernard Cosendai). L'intérêt de l'intrigue ne se situe pas dans cette forme de continuité interne de la série. Outre le mystère très surprenant relatif à Tom Cusack, le lecteur prend plaisir à retrouver Caroline Baldwin et son caractère pas toujours facile, et à prendre des nouvelles de sa santé, sa maladie ayant une incidence directe sur sa situation, en particulier l'approvisionnement en médicaments pour son traitement. Sa séropositivité n'est donc pas un simple truc destiné à attirer l'attention sur la série, mais bien une réalité de sa vie qui a des conséquences. Dans un même ordre d'idées, la relation entre elle et Gary est impactée par la situation personnelle de Caroline et le métier de Gary Scott. En cela, sa mise en scène est de nature adulte, plutôt que romantique, et d'ailleurs le lecteur sourit régulièrement en les voyant se prendre le bec pour des raisons concrètes, scènes très vivantes grâce à une direction d'acteurs naturaliste et expressive. Il prend pleinement conscience qu'il s'intéresse d'abord à Caroline Baldwin en tant que personne, ce qui n'était pas forcément le cas au début de la série où l'intrigue primait sur la personne, ainsi que les éventuelles scènes dénudées. 

L'ouverture de ce tome déconcerte de prime abord, car le lecteur constate qu'André Taymans privilégie ses souvenirs de vacance. La lecture déstabilise le lecteur du fait de la nature du secret détenu par Tom Cusack. Il lui faut prendre un peu de recul pour reconnaître honnêtement que la dimension touristique est toujours aussi réussie, avec des dessins en apparence faciles, mais en fait très détaillés et transcrivant un point de vue, c’est-à-dire la manière dont l'auteur regarde autour de lui. Au bout de quelques pages, le lecteur se rend compte qu'il se retrouve émotionnellement impliqué par la situation de Caroline Baldwin, son état d'esprit et ses réactions, et que finalement il y a bien interaction entre les personnages et leur environnement, qu'il ne s'agit pas d'un décor neutre, interchangeable avec n'importe quel autre.


2 commentaires:

  1. J'ai l'impression que tu es comme légèrement déçu et que tu estimes que la capacité de l'auteur à faire plonger le lecteur dans une forme d'immersion touristique par le biais du récit atteint ici ses limites et crée un déséquilibre.
    Je voulais aussi te demander si tu avais déjà établi - peut-être sans le vouloir - des parallèles entre "Carolyn Baldwin" et "Jessica Blandy" ; pas forcément entre les œuvres, ou les styles graphiques, mais entre les héroïnes et leurs caractérisations.

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  2. Oui, le début de ce tome faisait plus souvenirs de vacances que récit.

    Oui, j'ai établi des parallèles, en partie sans le vouloir et aussi sans le formaliser. J'ai bien dû finir par me rendre compte qu'il s'agit de 2 séries de longue durée (plus de 15 tomes chacune), réalisées par une équipe artistique stable, explorant les différents sous-genre du policier, avec des héroïnes souffrant d'un mal de vivre plus ou moins prononcé (plus chez Jessica Blandy que chez Caroline Baldwin), avec une héroïne à chaque fois écrite par un homme.

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