lundi 11 mars 2019

Le syndicat des algues brunes

Ce tome comprend une histoire indépendante de toute autre, racontée sous la forme d'un roman-photo. Il a été réalisé par Amélie Laval et édité par les éditions FLBLB. Il fait intervenir 47 acteurs. Les rôles principaux sont interprétés par Shuey-Shyen Duong (Ky Duyen Canac) et Cécile Peyrot (Fondamente). Cécile Rémy est responsable de la photographie. Aucun animal n'a été maltraité durant le shooting du Syndicat des algues brunes. L'édition originale date du premier trimestre 2018. Cette histoire comprend 211 pages de photo-roman.

Ky Duyen Canac (championne vietnamienne de l'art martial Vovinam Viet Vo Dao) déambule dans les ruelles d'une ville du sud de ce qui s'appelait précédemment la France, aujourd'hui appelée région Soleil Lavande dans le pays Avrupa. Elle finit par trouver l'adresse qu'elle cherche au 140 d'une rue. Elle tire la clé d'accès d'une enveloppe qu'elle avait dans sa poche et monte dans les étages jusqu'à l'appartement qui fut celui de son père Serge Canac. L'appartement est visiblement vide depuis plusieurs jours. Les différents miroirs et surfaces vitrées répondent à Ky Duyen Canac qu'ils ne savent pas quand le propriétaire reviendra. Elle ressort de l'appartement et regagne la rue où elle marche en écoutant le message que lui avait laissé son père. Elle se fait agresser dans une rue déserte par 2 hommes tenant des propos racistes, qualifiés de presse-citrons. Elle riposte en utilisant son art martial. Un homme se retrouve étendu sans connaissance à terre, l'autre tombe de tout son long et son corps se transforme en mousse savonneuse. Une femme (Fondamente) se porte au secours de Ky Duyen Canac, l'aide à se relever et l'emmène jusqu'à un taxi. Canac est légèrement blessée à l'épaule.

Chemin faisant, Ky Duyen Canac explique qu'elle est championne olympique d'art martial, et Fondamente explique que l'homme qui s'est transformé en mousse devait être un barbotard, c’est-à-dire un être humain de quatrième génération. Elles se font déposer au pied de l'immeuble de Fondamente qui invite Ky dans son appartement et qui soigne son épaule. Ky explique à son hôtesse qu'elle est venue pour voir son père qui lui avait envoyé un double des clés de son appartement. Fondamente explique qu'elle est journaliste et qu'elle essaiera de se renseigner sur Serge Canac. Elle ajoute qu'elle aimerait voyager en Asie mais que les individus de groupe sanguin A et O n'ont pas le droit de sortir du territoire et elle est du groupe A. Ky indique qu'il n'y a pas ce genre de problème au Vietnam car il n'y a plus d'humains générationnels là-bas. Fondamente s'en va finir un article ; Ky effectue quelques katas avant de se coucher sur le canapé. Elle se réveille seule dans l'appartement le lendemain matin. Elle petit-déjeune d'une soupe à la lavande. Puis elle effectue des exercices d'assouplissement. Fondamente rentre sur ces entrefaites et lui propose d'aller manger à l'extérieur.


Étonnant qu'il puisse encore paraître de nouveaux romans-photos en 2018, qui plus est qui ne s'inscrivent pas dans le genre romance. Pourtant le lecteur découvre dès les premières pages, qu'il s'agit d'un roman-photo en bonne et due forme, avec des photographies soignées, pouvant aller jusqu'à 10 dans une page, dans des lieux variés, pour une histoire entre thriller politique et enquête. Amélie Laval a construit son récit comme une bande dessinée, avec des photographies à la place de dessins dans des cases. Le lecteur de BD retrouve donc une forme de narration séquentielle très familière, classique dans son ordonnancement, avec des cases rectangulaires, sagement alignées en bande, les unes au-dessus des autres. La taille des cases varient en fonction de la nature de la séquence et de ce qui est montré, des cases étroites, ou des cases de la larguer de la page, des petites cases, ou quelques photographies en pleine page. En choisissant ce mode de narration essentiellement descriptif, l'autrice se confronte à la problématique du budget. Alors qu'en bande dessinée, l'artiste dispose d'un budget illimité pour les effets spéciaux et les décors (sous réserve du temps passé à les représenter), le roman-photo est tributaire soit des décors naturels, soit des décors de studio, mais ce n'est alors plus le même prix. L'artiste a pris le parti des décors naturels, et le lecteur peut apprécier au fil du récit leur diversité : ruelles, cage d'escalier, intérieurs d'appartement, café, voirie urbaine, autoroutes, paysages naturels, supermarché, calanque, port, salle de réunion. À l'opposé de longues pages en plan fixe dans 3 lieux sans âme, Amélie Laval donne à voir de nombreux environnements, très ordinaires pris séparément, constituant un décor élaboré et varié dans leur effet cumulatif.

Le lecteur retrouve la même approche naturaliste et généreuse dans le casting. Au fil de ces 211 pages, il observe une cinquantaine d'individus différents, interprétés par autant d'acteurs. Amélie Laval n'a pas choisi d'en faire des modèles de beauté esthétique, préférant conserver une apparence normale. Là encore cette apparente banalité peut masquer la variété, ainsi que l'effet que cela produit. Le lecteur plonge en fait dans un monde quasi identique au sien, croisant des individus normaux, se conduisant de manière normale. Le registre narratif n'est pas celui du spectaculaire, mais un registre qui privilégie la narration et la cohérence interne. Le lecteur narquois peut n'y voir que la nécessité (budget contraint) qui fait loi, mais au fil des pages il s'impose une impression globale de choix narratif en phase avec la nature du récit. Les expressions des visages sonnent juste, ainsi que les postures des acteurs. Qui plus est, les mouvements lors des affrontements physiques apparaissent réels, à l'opposé d'une exagération spectaculaire, évitant l'écueil de tomber dans le ridicule.


Le lecteur voit les personnages évoluer comme s'il s'agissait d'individus croisés dans la rue, dans une représentation de la réalité très proche de la sienne. La narration neutralise ainsi le risque de la moquerie ou de l'autodérision involontaire en optant pour un premier degré refusant les facilités pour enjoliver les apparences, tels que filtres photographiques, effets bon marché, ou retouches infographiques en post production. Du coup, l'intrusion des éléments d'anticipation (pour le coup réalisés avec des moyens limités) passe plus facilement, que ce soit les morts qui se transforment en mousse, ou ceux qui portent une combinaison intégrale en fausse fourrure. L'autrice n'essaye pas de faire passer ces éléments pour des effets spéciaux haute technologie. Elle ne cache pas au lecteur leur nature basique, lui laissant la possibilité de les prendre en l'état sans raillerie.

Indépendamment de son goût pour le roman-photo ou pour la bande dessinée, le lecteur se laisse donc facilement entraîner dans cette narration visuelle, plutôt riche, utilisant des découpages de planche spécifiques à la BD, un peu déconcertante par la précision des photographies qui ne laissent pas de place à l'imagination comme le font les dessins. Le lecteur est tenté de prendre le temps de détailler chaque photographie pour y déceler des éléments signifiants, alors qu'il ne s'agit que de la densité d'informations visuelles propre à la photographie. La précision photographique laisse également moins de marge de manœuvre à l'autrice pour détourner la fonction première de l'objet qui est montré. Pourtant, Amélie Laval réussit quand même à induire des fonctions inhabituelles dans des objets de la vie de tous les jours : les surfaces vitrées ou les glaces qui servent d'écran, les berlingots en plastique qui contiennent des produits inusuels, une chipolata comme produit de contrebande vendu à la sauvette, du varech comme manifestation psychique d'une maladie, ou une innocente brosse à dents comme outil de pollinisation. À nouveau le traitement premier degré et précis de ces détournements d'objet ne tombe pas dans l'écueil de la moquerie suscitée par un manque de moyen financier, mais s'accompagne plutôt d'une sensation poétique ou surréaliste. S'étant habitué à cette narration visuelle naturaliste, le lecteur est d'autant plus surpris quand il découvre une case (enfin une photographie) ou une séquence en décalage avec sa réalité, comme par exemple le troupeau de moutons en pleine ville ou les algues sur le notaire.


Dans un premier temps, le lecteur peut s'interroger sur la forte pagination de cette histoire, mais il constate rapidement que l'autrice a tiré profit de la richesse des lieux et de la variété des personnages, pour réaliser une quarantaine de planches sans texte, ni phylactère, laissant les images raconter l'histoire, offrant au lecteur la possibilité de gérer sa vitesse de lecture. Pour autant, le récit s'avère ambitieux et consistant. Il peut être lu au premier degré comme un thriller d'action, avec une enquête sur le sort de Serge Canac, le père de Ky Duyen Canac, mêlé à une sombre histoire d'intérêts financiers et de magouilles géopolitiques. Au fil des séquences, le lecteur voit également apparaître plusieurs thématiques : l'immigration, la séparation d'avec le père, l'écologie, la politique extérieure, une forme d'eugénisme. Dans le cadre d'un récit d'anticipation comme celui-ci, une partie des thèmes ne sert qu'à nourri le contexte du récit, mais une autre constitue un regard personnel de l'autrice sur des bouleversements sociétaux en devenir, ou sur des composantes de la société déjà en train de la transformer. Amélie Laval utilise bien le genre Anticipation comme un révélateur par processus de contraste, de certaines caractéristiques de la société contemporaine.


En découvrant cet ouvrage, le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre. Il a peut-être été aiguillé par la référence qui y est faite par Jan Baetans dans La petite Bédéthèque des Savoirs - tome 26 - Le roman-photo (2018, avec Clémentine Mélois), tout en sachant par avance que son ambition littéraire ne saurait égaler celle de Droit de regards (1985) de Marie-Françoise Plissart, avec Benoît Peeters. Il perçoit vite la richesse de de la mise en images du récit, constatant qu'il s'agit d'une narration professionnelle avec un niveau d'exigence et de finition élevé de la part de l'auteur : que ce soit la qualité des photographies, le jeu des acteurs et la distribution, ou la variété des lieux. Il plonge dans un récit d'anticipation bien ficelé, mis en scène avec intelligence, portant un regard sur certains aspects de la société moderne, sous la forme d'une enquête mâtinée de thriller. Cette lecture se révèle à la fois atypique, exhalant des saveurs inusuelles, et un récit entraînant et intelligent.

Une interview de l'autrice Amélie Laval sur la réalisation : interview Amélie Laval


4 commentaires:

  1. Ça a l'air incroyable, cette intrigue !
    Merci de partager la découverte de ce type d'ouvrage avec ton billet, sans lequel je n'aurais sans doute jamais prêté attention à un album comme celui-là.

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  2. Je n'ai plus d'autre roman-photo en attente dans ma pile de lecture, ou dans ma liste d'achats potentiels. J'ai découvert son existence dans le tome de la petite bédéthèque des savoirs consacré au roman-photo. Ce fut une lecture très agréable, déstabilisante par son utilisation de la mise en page des BD, mais avec une sensation de lecture très différente du fait des photographies.

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  3. Encore un roman photo qui a l'air super ! Merci pour la présentation Présence, je guetterai, sait-on jamais.

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    1. La présentation des ouvrages publiés par l'éditeur FLBLB va le coup d'œil :

      https://www.flblb.com/

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