dimanche 3 juin 2018

Claudia - Tome 04: La marque de la bête

Rajoutez des pierres !

Ce tome fait suit à Opium Rouge qu'il faut avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'une histoire à suivre, il faut avoir commencé par le premier. Il est initialement paru en 2010, publié par les éditions Nickel. Il a bénéficié d'une réédition en 2018 par les éditions Glénat. L'histoire a été écrite par Pat Mills, dessinée, encrée et mise en couleurs par Franck Tacito. Cette série est dérivée de la série Requiem d'Olivier Ledroit & Pat Mills. Ce tome peut se lire sans avoir lu la série Requiem.

À Gippeswick, Angleterre, en 2002, Carly Blackwell se rend au salon de coiffure de sa mère, accompagnée de Jim son fiancée. Il découvre un local avec les équipements de coiffure attendus, mais aussi un registre de rendez-vous vide. Dans le même temps, dans la crypte du sous-sol, le colonel Pamela et leurs sbires s'apprêtent à sacrifier la prostituée qui avait été engagée pour une cérémonie par Claudia Blackwell et qui en avait réchappé. Carly et Jim continuent de faire le tour du propriétaire et descendent au sous-sol en imaginant comment aménager la salle de sport qu'ils veulent y installer. Ils ont l'impression d'entendre un cri dans une salle au fond. Alors que Carly commence à tambouriner sur la porte, le colonel et Pamela l'ouvrent et lui expliquent, ainsi qu'à Jim, qu'il sont en train de préparer une fête pour son vingt-et-unième anniversaire qui tombe pour Halloween, et que Pamela a poussé un cri en voyant les masques achetés par le Colonel. Les 2 tourtereaux semblent satisfaits par ces explications et sortent de l'établissement. Carly explique à Jim qu'elle a fait faire une analyse graphologique de l'écriture de sa mère et que le résultat décrit une personnalité perverse et méchante.


Sur Résurrection, Claudia Demona se retrouve prise entre 2 feux : Le Pèlerin accompagné de Martini Shot & Grozny Pork d'un côté, la police de Résurrection menée par l'inspecteur Gol Gotha et le capitaine Kurse de l'autre. L'affrontement prend fin quand le Pèlerin balance une grenade d'eau bénite sur les vampires de la police. Grozny Pork, Martini Shot et Claudia sont capturés. Mais elle parvient à convaincre l'inspecteur et le capitaine qu'elle était en fait de leur côté et qu'elle seule est capable de retrouver le Pèlerin en suivant son odeur caractéristique de vivant. Elle le retrouve dans un salon de tatouage. Pendant ce temps-là, Elizabeth Bathory a rejoint Sabre Eretica qui a organisé sa partie de chasse au dragon. Il a recruté Egil Skallagrim, le Baron Samedi, Harvey Texarkana, Peter Blutsauger (le vampire de Düsseldorf), Iron Brew, Lucrèce Nachzehrer, Marcel Neuntoter, pour préparer l'appât et disposer d'assez de force de frappe pour tuer le monstre cracheur de flammes.

Après un tome 3 exceptionnel, le lecteur a hâte de retrouver la suite des aventures grotesques et morbides de Claudia Demona. Il a le plaisir de constater que l'équipe artistique est restée la même, scénariste et dessinateur. Franck Tacito reste toujours aussi impressionnant dans son implication totale pour donner à voir tout ce qu'imagine Pat Mills, et il a fort à faire. Pour commencer, la distribution de personnages continue de grandir, avec le retour de Kurse et Gotha, de Bathory et de Sabre Eretica, du Colonel et de Pamela. D'autres personnages font leur apparition, tels que l'équipe de chasseurs (6 nouveaux personnages) et les goules tatoués dans la peau de Claudia (Oxycrate, Élémanzer, Grizzel Greedigut). Pour chacun il prend soin de leur concevoir une apparence visuelle spécifique, cohérente avec ce que le lecteur apprend sur chacun d'eux. Ces personnages présentent tous une apparence morbide avec des exagérations dans leur physionomie qui les placent entre l'horreur et le grotesque, l'artiste arrivant à amalgamer ces 2 composantes, sans que l'une ne prenne le pas sur l'autre ou ne la neutralise.


Le niveau d'exigence du scénario ne se limite pas à la distribution, il y a également les différents lieux, souvent monumentaux, écrasant les personnages par leur gigantisme : les sous-sols sans fin du salon de coiffure, et la pièce des sacrifices, le club Slimelights et sa scène où se produit un groupe punk, les rues de Résurrection traversées par le Pèlerin lors de sa fuite, sa salle de tatouage, les ruines au milieu desquelles se déroulent la chasse au dragon, etc. À chaque fois, l'artiste fait le nécessaire pour rendre compte du volume de l'environnement, des dimensions des constructions, toutes finement ouvragées. Par comparaison avec le tome précédent, le lecteur remarque un encrage moins appuyé, un peu plus lâche, diminuant l'impression figée des planches, mais donnant aussi une impression moins finie des dessins. Comme dans les tomes précédents, l'artiste doit également concevoir des prises de vues qui permettent au lecteur de comprendre la démesure de ce à quoi il assiste, de laisser assez de place aux personnages, tout en restant lisible. À 15 reprises, il utilise une mise en page sur une double page, soit 30 pages sur 48. Cela lui permet de disposer d'assez d'espace pour rende compte du caractère monumental de la situation. Il joue également avec les bordures de cases, pouvant aussi bien assembler des cases en trapèze, que structurer sa composition à partir d'une image ronde au centre de la double page. Le lecteur observe que l'inventivité de Franck Tacito n'arrive pas complètement à compenser la propension de Pat Mills à concevoir une page comme un tableau sur lequel il accole des cellules de texte ou des dialogues qui apportent de nombreuses informations. Cette approche narrative lui permet de densifier sa narration, mais elle donne parfois la sensation d'un texte illustré, plus que d'une bande dessinée.

Franck Tacito ne démérite pas dans ce quatrième tome, avec des dessins toujours aussi denses, et des visions cyclopéennes qui n'ont pas peur de montrer l'horreur de la chair torturée. Le lecteur peut s'amuser aussi à sortir de la narration pour relever les détails supplémentaires inclus par l'artiste, qu'il s'agisse d'un tentacule ou d'une langue allant fourrager dans des parties intimes, ou l'apparence bien répugnante d'Oxycrate, ou encore les peaux prêtes à enfiler du Pèlerin.

En entamant ce tome, le lecteur est un peu inquiet car il est paru en 2010 et il n'y en a pas eu depuis, or il s'achève avec Claudia soumise à la question et il appelle une suite. Cela n'empêche pas que Pat Mills en donne pour son argent au lecteur avec une narration bien dense, à laquelle Franck Tacito fait honneur. En ne voyant que 4 tomes de disponible, le lecteur pouvait supposer qu'il saurait si Claudia réussirait ou non à échapper en son sort. Il n'en est rien, mais sa situation évolue rapidement. Le tome précédent laissait en suspens de nombreuses questions relatives à la Téléviza (le dispositif technologique permettant de passer de Résurrection à la Terre), à l'addiction de Claudia à l'opium rouge, à son amour pour Bathory, au sort de Carly Blackwell, aux capacités réelles du Pèlerin et à son origine, etc. Pat Mills maîtrise bien le format de la bande dessinée franco-belge, et il n'est pas question de décompression ici. La séquence d'introduction à Gippeswick permet de se rendre compte que la congrégation de Claudia Blackwell ne reste pas les bras croisés, et que le caractère de sa fille Carly oscille entre la naïveté d'une oie blanche et une forme d'initiative engendrée par sa curiosité, avec le résultat très décapant de l'analyse graphologique.

Une fois passée cette introduction, le lecteur constate que Claudia Demona apparaît dans 24 pages sur les 41 restantes. Pour autant il ne ressent pas de frustration car le scénariste a construit son récit de manière à ce que les différents personnages secondaires puissent bénéficier d'une ou deux planches pour se développer, et que chacune de ces scènes contribue à ouvrir l'horizon du récit. Il apprécie d'en apprendre plus sur le mystérieux Pèlerin et sur l'origine de ce McGuffin bien pratique qu'est la téléviza. Les séquences de chasse au dragon en disent long sur le caractère d'Elizabeth Bathory. Contre toute attente, monsieur Martini Shot et Grozny Pork ne se limitent pas à des personnages bouffons, et se développent dans une direction très inattendue. Non seulement les personnages continuent de gagner en épaisseur, au travers de leur histoire personnelle et de leurs motivations, mais en plus l'histoire progresse de manière significative, sur toutes les questions laissées en suspens citées ci-dessus. De fait, Pat Mills a réussi à donner progressivement de l'ampleur à son récit, en intégrant petit à petit d'autres personnages, tout en conservant l'unité de sa narration, sans que le lecteur n'éprouve la sensation de papillonner d'un endroit à un autre. Il conserve également les touches d'humour noir, macabre, et parfois de grosse farce bien lourde, que ce soit avec un groupe punk bien gras, ou avec les individus recrutés par Sabre Eretica, tous méchamment parodiques.



Ce quatrième tome est également l'occasion pour Pat Mills de développer de nouveaux thèmes, à chaque fois avec son regard très personnel. L'analyse graphologique semble un peu outrée dans ce qu'elle est capable de révéler d'un individu uniquement à partir de son écriture. Mais il s'agit surtout pour l'auteur de mettre en avant qu'il y a de sacrés tordus parmi la race humaine. Il évoque également l'irrespect érigé en dogme par le punk, la chasse comme étant un sport de classe (surtout en Angleterre), la chasse aux sorcières et ses massacres de femmes innocentes par des illuminés prétendant entendre la voix de Dieu, la traîtrise et la fourberie, les actes déconnectés des intentions, et les démarches transgenres. Pour ce dernier thème, un lecteur non familier de Pat Mills peut se demander si la farce au travers de laquelle il évoque les individus transgenres ne serait pas à charge. Un lecteur familier de Pat Mills sait que son indignation et sa colère s'exercent contre les abus d'autorité et de pouvoir, mais pas contre les minorités opprimées. Sous réserve d'avoir ce point de vue en tête, le lecteur assiste à une scène savoureuse dans sa dérision.


Ce quatrième tome développe le récit avec les mêmes caractéristiques que les 3 premiers : des dessins monumentaux bourrés de détails, une intrigue bien fournie, complétée par un humour macabre servi bien noir et des thèmes ambitieux. Il ne reste plus qu'à espérer que cette histoire connaîtra un jour sa fin.

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