mercredi 6 juin 2018

Caroline Baldwin, n° 2 : Contrat 48-A

La pipe du grand-père

Ce tome fait suite à Caroline Baldwin, Tome 1 : Moon River (1996) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant, mais ce serait dommage de s'en priver. Il est paru pour la première en 1998, écrit, dessiné, et encré par André Taymans, avec une mise en couleurs réalisée par Bruno Wesel. Il a fait l'objet d'une réédition en 2017 dans Caroline Baldwin Intégrale T1: Volumes 1 à 4, édition respectant le format initial. Cette histoire avait fait l'objet d'une prépublication dans le mensuel (À suivre).

Dans la région du Québec, une guide est en train de faire visiter un village traditionnel huron à un groupe de touristes. Elle les fait pénétrer dans la reconstitution d'une maison longue, où se tient un indien huron habillé en tenue d'époque. Les touristes font des commentaires déplacés et moqueurs sur les indiens qui ne ressemblent pas à des indiens (leur guide) et font montre de leur inculture. Caroline Baldwin observe la scène depuis la fenêtre méprisant cette engeance touristique. Une fois qu'ils ont quitté les lieux, elle va saluer son grand-père, en lui demandant pourquoi il se prête à cette mascarade. Il répond que l'arrière-grand-père de Caroline le faisait déjà et que ça l'occupe depuis qu'il a vendu sa chaîne de motels, le tout en allumant et en tirant sur sa pipe d'un modèle moderne, et pas un calumet. Un peu de temps a passé, Caroline Baldwin revient dans la réserve indienne à l'occasion des funérailles de son grand-père. Après la cérémonie, elle récupère sa pipe et se fâche avec son oncle qui a repris la chaîne de motels.

À cette occasion, Caroline retrouve également Mike Ford, orphelin qui venait passer ses vacances avec eux quand ils étaient enfants, handicapé en fauteuil roulant. Il lui demande une faveur : retrouver l'individu anonyme qui a payé pour ses études pendant toute son enfance. Caroline accepte et elle commence son enquête en se rendant à l'orphelinat où elle est accueillie par le directeur Cook qui lui indique qu'il ne dispose d'aucun renseignement, les dons étant effectués dans l'anonymat le plus complet. Elle se rend alors à l'hôpital abritant le service de maternité où est né Mike. Elle se fait mal recevoir par la femme à l'accueil, mais un stagiaire a entendu leur conversation et lui propose un accès à un ordinateur pour interroger la base de données, tout en essayant de la draguer. Le lendemain elle se rend à son rendez-vous dans un établissement de restauration rapide, avec le docteur Brown, l'accoucheur responsable de la naissance de Mike.



Le lecteur est ressorti sous le charme de l'héroïne après sa lecture du tome 1, et enchanté par un polar servi noir, avec une dimension touristique très immersive. Il revient donc bien volontiers pour découvrir la deuxième aventure de Caroline Baldwin. L'auteur reprend les mêmes ingrédients que pour le tome 1 : une enquête, des lieux variés et une héroïne au caractère affirmé. Comme dans le premier tome, elle apparaît nue à 4 reprises : sur son lit en train de chercher le sommeil, et lors de 2 parties de jambe en l'air. Caroline Baldwin continue donc d'être une femme indépendante, gérant sa sexualité comme elle l'entend. De ce point de vue-là, ces 4 scènes participent à établir sa personnalité, et en plus elle est bien faite de sa personne. Taymans ne limite pas son portrait à une jeune femme dessalée aimant la bagatelle. Il montre une personne en bonne santé physique, assez élancée, portant aussi bien des tenues décontractées (jean et camisole de type débardeur, ou short et teeshirt de randonnée), que des tenues plus habillées (jupe droite et chemisier strict). Son langage corporel montre quelqu'un de décidé, capable de prendre le temps de la réflexion mais aussi de passer à l'action rapidement.

André Taymans complète ce portrait visuel de son héroïne, avec des séquences montrant des moments de sa vie personnelle. Le lecteur en découvre donc un peu plus sur elle. Son ascendance indienne prend de la consistance par le biais de ses liens familiaux, ainsi que par la marchandisation de la culture huronne, que ce soit dans la reconstruction du village traditionnel, ou dans l'un des motel de la chaîne de son oncle, en forme de tipi de pacotille décoré avec des accessoires évoquant l'artisanat huron, mais réalisés industriellement. Les liens familiaux prennent la forme de son affection pour Mike, membre occasionnel de la famille, et pour son grand-père, le lecteur pouvant voir son affliction suite à son décès. Il constate aussi son empathie pour Mike, son chagrin après la tuerie à laquelle elle assiste, son assurance avec son amant (Alan, le barman du Cochon Dingue, se demandant combien de temps celui-là va durer), son aplomb quand elle pose des questions lors de son enquête, sa réaction vive et cassante lorsque le stagiaire se permet des privautés, sa tristesse en apprenant le suicide de l'un des coupables, et l'impact négatif de cette information sur Mike.



Comme pour le premier tome, André Taymans construit son intrigue sur la base d'une enquête policière. Caroline Baldwin utilise donc la méthode qu'elle affectionne : avancer à découvert et voir comment ça va réagir. C'est ce qu'elle fait avec l'orphelinat, puis avec l'hôpital, et encore avec l'accoucheur. Le scénariste ne prétend pas en faire une détective aux cellules grises exceptionnelles à l'instar d'Hercule Poirot. Pour autant, elle est capable de réfléchir, et le fait systématiquement avant d'agir. L'auteur pimente son récit d'une tuerie et de quelques morts, mais sans se reposer sur le gore ou la violence en lieu et place d'intrigue, et en montrant les conséquences de ces moments sur les individus. Il montre également son héroïne se livrer à des acrobaties à une ou deux reprises, là encore sans tirer la scène en longueur, sans s'en servir comme une béquille pour cacher le manque de scénario. Comme criminel, il a choisi des expérimentations clandestines sur des cobayes non consentants, évoquant de loin des affaires comme celle de l’Étude de Tuskegee (1932-1972) avec inoculation de syphilis. De ce point de vue, l'enquête sert de révélateur à des pratiques abjectes, évoquant une réalité sociale et économique bien réelle, comme dans un polar digne de ce nom. Malgré une fin assez noire, il ne s'agit pas non plus d'un polar totalement désespéré.

Après la lecture du premier tome, le lecteur revient également pour la dimension touristique des aventures de Caroline Baldwin. Dans l'introduction de l'édition intégrale, Anne Maheys explique que l'auteur a sciemment construit sa série sur la base d'une intrigue policière, avec des séquences dédiées à l'histoire personnelle de son héroïne, et avec une part dévolue à aux environnements où se trouve Caroline Baldwin. Le lecteur retrouve ses dessins à l'allure faussement simplifiée par des traits de contours très propres et très nets, des formes légèrement simplifiées et épurées, et une mise en couleurs basées sur des aplats. Ces choix graphiques permettent à l'artiste d'inclure un bon niveau de détails dans chaque case, sans qu'elles ne donnent l'impression d'être surchargées. Même si la reconstitution du village huron est opportuniste à visée commerciale, le lecteur en observe les détails, découvrant ou retrouvant des aménagements traditionnels. Les retrouvailles après les funérailles sont l'occasion d'admirer la maison du grand-père sous la neige, ainsi que sa décoration intérieure. Sans aller jusqu'à un niveau de détail photographique obsessionnel, André Taymans s'investit pour rendre chaque endroit unique et typique sans se contenter d'une collection de clichés visuels. Le lecteur prend plaisir à regarder la décoration du restaurant asiatique dans lequel déjeunent Mike et Caroline, l'ameublement du bureau du docteur Cook à l'orphelinat, l'aménagement intérieur de la maison de Caroline Baldwin, ou encore la décoration de la chambre du motel de la chaîne du grand-père. Les scènes en extérieur présentent la même force d'évocation : la façade de la maison de Caroline Baldwin toujours aussi luxueuse, le bâtiment de l'orphelinat avec sa pelouse et le vol des feuilles virevoltant dans le vent, la promenade dans le parc et la course-poursuite sur le pont métallique à haubans au milieu de la circulation.



Le lecteur arrive dans la dernière partie du récit et découvre 4 magnifiques pages où Caroline Baldwin effectue une randonnée dans la montagne en été. Le lecteur éprouve la sensation de la marche à ses côtés, en progressant le long d'un sentier, en coupant à travers l'herbe, en levant le nez pour voir les installations figées des remonte-pentes, en appréciant la douceur de l'air, et se surprenant à souffler à l'effort au fur et à mesure de la montée. C'est un moment magique où il ressent le calme et l'isolement de sa marche, ainsi qu'une forme d'apaisement à cheminer en solitaire dans un environnement verdoyant et tranquille. Dans l'introduction de l'intégrale, il découvre 2 photographies prises lors d'un repérage effectué par l'auteur pour cette séquence, dans la région de Châtel en Suisse. Il découvre le dénouement dans ce cadre bucolique, et regrette de devoir le quitter.


Ce deuxième tome confirme les qualités de narrateur d'André Taymans. Le lecteur s'est attaché à Caroline Baldwin, héroïne imparfaite, sujette au vague à l'âme, mais dépourvue de cynisme, prête à l'action, mais réfléchissant avant d'agir, allant de l'avant tout en observant et en analysant. La dimension sociale reste légère, mais elle n'est pas inexistante. L'enquête progresse de manière naturelle, sans recourir à de grosses ficelles, sans reposer sur une capacité déductive relevant du surnaturel. André Taymans réalise des dessins très faciles et agréables à lire, avec une grande attention portée aux détails qui évite tous les clichés visuels et qui emmène le lecteur dans des environnements dignes d'intérêt.



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