mercredi 30 mai 2018

What's new pussycat?

Même les français ont leur limite.

Ce tome fait suite à Love is in the air (2015) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant, mais ce serait dommage de s'en priver. Il est initialement paru en 2017, réalisé par les mêmes créateurs : Gihef pour le scénario, Antonio Lapone pour les dessins, l'encrage et la mise en couleurs, avec l'aide d'Anne-Claire Thibaut-Jouvray pour les couleurs.

C'est l'automne à New York, au début des années 1960. Un jeune moineau se laisse porter par le vent au milieu des feuilles, alors que le texte évoque un passager du vent. À peine posé, l'oiseau se fait croquer par un chat, celui de Bebe Oaks. Pendant ce temps-là, le texte évoque le fait qu'on ne connaît jamais vraiment son voisin, pendant qu'un individu s'introduit dans l'appartement des Oaks (Bebe & Norman) et s'empare du rasoir sur le lavabo alors que Norman est sous la douche. Après une grosse frayeur, Bebe intervient dans la salle de bains pour expliquer ce qui se passe. L'intrus est en fait son frère Kip Newman qui vient loger chez eux pour garder l'appartement et s'occuper du chat pendant que Bebe & Norman Oaks convolent en justes noces à Marrakech. Norman ne fait pas entièrement confiance à Kip qui a l'air un peu irresponsable, mais il se laisse convaincre par Bebe… après avoir vérifié que l'assurance de l'appartement est bien payée, et ce qu'elle couvre.

Le lendemain, l'artiste (peintre et sculpteur) Cole Slowe rentre de faire ses courses, quand il est pris pour cible par Bucky Macalistair qui le vise avec des bombes à eau depuis l'un des étages de l'immeuble. Il se réfugie dans la librairie en entresol où il se retrouve face à une charmante jeune femme vêtue d'une robe violette et d'un bibi assorti. Slowe fait tout pour lui répondre évasivement, et ressortir rapidement, en vérifiant que le garnement n'est plus à la fenêtre. En sortant il tombe nez à nez avec un galeriste qui insiste pour exposer ses œuvres. Cole Slowe y est farouchement opposé, refusant que ces œuvres d'art deviennent l'objet d'une spéculation déconnectée de leur sens ou de leur valeur artistique. Il rentre chez, dans son appartement situé dans le même immeuble que celui des Oaks. Toujours dans le même immeuble, madame Budington, la concierge, reçoit son fils Quincy, inspecteur de police, qui lui parle du monte-en-l'air Pussycat, spécialisé dans le vol d'œuvre d'art qui sévit en ce moment même à New York, après avoir écumé plusieurs pays d'Europe.


Le premier tome mettait en scène le couple de Bebe et Norman Oaks, dans une évocation très réussie de Diamants sur canapé (1961) réalisé par Blake Edwards. Pour ce deuxième tome, Gihef utilise un dispositif élégant de situer l'action dans le même immeuble, mais avec d'autres occupants, ce qui établit un lien avec le premier tome, tout en évitant la répétition. Il fait apparaître la plupart des personnages apparus dans le premier tome : Bebe & Norman Oaks, Mme Senzapresky, Bucky Macalistair et sa mère Dora, ainsi que l'artiste au comportement un peu rustre Cole Slowe. Cette histoire commence comme une comédie romantique, Cole Slowe faisant inopinément la rencontre d'une belle et mystérieuse jeune femme (la comtesse Sophie St-Cyr). Elle se poursuit avec les convictions artistiques de Slowe, qui le mettent en opposition avec les marchands d'art, car il ne veut pas que ses œuvres soient livrées en pâture à la spéculation du capitalisme.

Dès la première page, le lecteur retrouve les caractéristiques graphiques des dessins d'Antonio Lapone, si délicieusement rétro et évocatrices des courants artistiques de l'époque. Il observe la même attention portée aux décors. Le cahier graphique en fin d'album permet de constater que l'artiste a effectué des recherches de référence pour recréer ce quartier de New York (Greenwich Village) de manière authentique, sur la base de photographies. Le lecteur peut se projeter dans les rues et observer les façades, et en apprécier la véracité historique pour une forme de tourisme dans ces années-là. Il en va de même pour les différents intérieurs, que ce soit les appartements, ou le théâtre café en entresol, dans lequel des amis présentent Sophie St-Cyr à Slowe à son grand dam. Au fil des séquences, le lecteur peut apprécier les motifs imprimés sur le rideau de douche de la salle de bains des époux Oaks, le rangement des livres dans la librairie en entresol, les sculptures dans l'atelier de Slowe, puis dans l'exposition dans la galerie, ou encore la présentation du kiosque du marchand de journaux sur le trottoir. Malgré tout, il constate que ce deuxième tome se concentre moins sur les décors.


Le lecteur retrouve également l'attention que porte le dessinateur aux tenues des personnages masculins et féminins, avec une mention spéciale pour Sophie St-Cyr. Les hommes portent aussi bien l'immuable costard-cravate (avec la coupe particulière de l'époque), que l'uniforme (pour le laitier), ou des tenues plus décontractées, en particulier dans les milieux de l'art, le béret et la pipe sont de rigueur, ainsi que le pullover avec col roulé. Il ne manque que le pantalon en velours. Toutefois la vedette en termes de mode est tenue par les femmes et plus particulièrement par Lucy St-Cyr. Le lecteur guette chacune de ses apparitions pour mieux savourer sa toilette à chaque fois différente. Il entrevoit sa robe violette et son petit bibi dans la librairie en entresol. Il voit sa robe rose et blanche pour effet de contraste éblouissant dans le demi-pénombre du théâtre-café. Il apprécie sa petite robe noire & banche, avec damier quand elle rend visite à Cole Slowe dans son atelier. Il observe la délicate décoration osciller sur son petit béret lors du vernissage. Il est totalement conquis par les motifs évoquant un tableau de Mondrian lors de son retour chez Cole Slowe. Antonio Lapone joue totalement le jeu de la séduction. Dans le même temps, il a conservé sa façon très personnelle de représenter la morphologie humaine avec des (petits) nez pointus, des coudes très anguleux, des tailles de guêpe impossible pour les femmes (sauf pour madame Senzaperski), un menton carré pour l'inspecteur de police, ou même des gros nez pour le marchand d'art Wilhem Weilburg, ou pour l'artiste qui présente Sophie St-Cyr à Slowe.

Rapidement le lecteur se rend compte que la mise en page oscille entre 2 partie pris, très différents en fonction du type de séquence. Lorsque les personnages commencent à discuter, le nombre de cases montent vite au-dessus de 10 par page, pouvant atteindre jusqu'à 20 cases dans une seule page. L'artiste va alors soit se focaliser sur les visages des personnages, soit sur leurs gestes pour accentuer l'expression de leurs émotions de leur état d'esprit. Le lecteur ressent alors une forme de frustration de voir ainsi les images se limiter à une petite portion des personnages, ne laissant pas de place pour les décors faute d'une assez grande surface, ne permettant pas au dessinateur d'intégrer les accessoires attestant de l'époque. Il constate que Lapone n'excelle pas dans la caricature des expressions des visages. Il sait leur donner vie, mais ils restent un peu convenus, trop dérivatifs, trop dans l'hommage aux dessins animés de l'époque. Les dessins ne perdent pas en caractère mais le découpage se fait tassé, et les plans de prise de vue manquent de souffle et d'entrain.


Puis il y a l'autre type de page, quand les dessins portent la narration et qu'il n'y a que très peu de texte. C'est le cas de la page d'ouverture où la composition de la page est plus vivante, entraînant le mouvement de l'œil du lecteur d'un plan d'ensemble au fil de petites cases (au nombre de 10). Le lecteur retrouve le même phénomène dans les pages consacrées à Cole Slowe évitant les bombes à eau sur le trottoir, et encore un peu plus loin quand Pussycat commet son larcin et s'enfuit sur les toits de New York. Dans ces moments-là, Antonio Lapone se réapproprie complètement la narration avec un découpage vivant, inventif, et bien dosé. Le lecteur retrouve alors tout le plaisir de lecture du premier tome. Ce qui fait la différence entre les 2 tomes est que Gihef a pris le parti de ne pas refaire une comédie trop similaire.

Le titre de cette bande dessinée évoque le film Quoi de neuf Pussycat ? (1965) de Peter O'Toole. Mais la présente histoire s'inscrit autant dans le genre de la comédie que dans celui du policier. Finalement la personnalité de Cole Slowe reste cantonnée à un trait de caractère principal et il en va ainsi des autres personnages secondaires. Le récit se focalise plus sur l'histoire personnelle de Sophie St-Cyr. Son parcours est révélé progressivement, par couche, comme les peaux d'un oignon. Dans ces moments-là, le scénariste privilégie effectivement l'intrigue à la comédie sentimentale, avec des explications pouvant s'étaler sur 2 pages d'affilée. Antonio Lapone fait preuve de ressources pour ne pas aligner les têtes en train de parler, mais sans parvenir à maintenir un rythme visuel entraînant. Les révélations à tiroir permettent à l'histoire de s'élever au-dessus de l'enfilade d'explications prévisibles. Mais à la suite du premier tome, le lecteur espérait retrouver le charme de la comédie sentimentale, pas forcément très intéressé par une histoire de cambriolage qui prend le dessus sur les personnages. Le lecteur sort également une fois de la narration quand il découvre le terme de négativisme passif-agressif qui ressemble fort à un concept plus à la mode dans la deuxième moitié des années 2010, que dans les années 1960.


Le tome se termine avec 10 dessins en pleine page, dans lesquels Sophie St-Clair arbore une robe différente, sur un fond noir. Puis viennent 10 pages de crayonnés, montrant des planches à des stades différents de réalisation. La dernière page de BD laisse supposer qu'il pourrait y avoir encore un tome avec le retour d'un autre habitant de l'immeuble, le père de Bucky Macalistair, mais la réalisation d'un troisième album n'a rien d'une certitude.


D'un côté, le lecteur a pris plaisir à retrouver certains des personnages dans Greenwich Village au début des années 1960, avec une comédie sentimentale à la trajectoire bien balisée, mais différente de celle du premier tome. Il apprécie également de retrouver l'ambiance de ce quartier idéalisée par les dessins mode d'Antonio Lapone qui ont conservé tout leur charme. D'un autre côté, il regrette que l'intrigue prenne le pas sur la comédie, et que les pages de dialogues perdent en légèreté du fait de plans de prise de vue dépourvus d'inspiration.


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