mardi 2 décembre 2025

Louis XI, l'universelle araignée

Un esprit trop subtil et acéré, plus enclin à la diplomatie qu’à la guerre


Cet ouvrage constitue une biographie de Louis XI. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Makyo (Pierre Fournier) & Jean-Édouard Grésy pour le scénario, dessiné par Francesco de Stena, avec une mise en couleurs réalisée par Marco Ferraccioni pour la première moitié, et par Degreff pour la seconde. Il se termine avec une postface d’une page rédigée par Joël Blanchard, professeur émérite à l’université du Mans. Il comporte cent-huit pages de bande dessinée.


Mars 1476, au château de Plessis-lèz-Tours, des troubadours chantent pour le roi Louis XI, attablé avec une douzaine de convives autour d’une table disposée en U. Un conseiller vient lui donner une information à l’oreille. Il se lève et se rend dans la pièce attenante. Il demande à Doriole de lui délivrer les nouvelles. Ce dernier explique qu’après un mois de siège, il a l’honneur de lui remettre les termes de la reddition du duc de Nemours, obtenu par Pierre de Beaujeu, le gendre du roi. Le souverain répond qu’il pensait que son interlocuteur lui avait dit que la forteresse de Carlat était imprenable. Il rappelle les mots mêmes de Doriole : un éperon rocheux doté d’une considérable artillerie. Le rapporteur explique que la réserve de poudre était faible et le duc était à court de vivres, avec près de quatre cents bouches à nourrir. Il doit cependant annoncer également la triste nouvelle du décès de sa femme, morte en couches durant le siège. La mort de la filleule du roi fait perdre au duc la seule personne qui pouvait encore intercéder en sa faveur. Doriole veut faire accusation de lèse-majesté à Nemours, ce qui signifiera la peine de mort par décapitation pour lui.



Louis XI répond que non : quand les rois n’ont point égard à la loi, ils ôtent au peuple ce qu’ils doivent lui laisser, ce faisant ils rendent leur peuple esclave et perdent le nom de roi. Le souverain veut que Doriole mène l’instruction avec subtilité et respect pour le rang du duc. Pierre de Beaujeu présidera ensuite à son procès. Louis XI veut comprendre pourquoi le monde se dérobe incontinent à qui trop se fie. Jacques d’Armagnac fut à ses côtés comme son plus fidèle compagnon lors de son sacre et de son entrée solennelle dans Paris, pourquoi l’a-t-il trahi ? Il en avait fait son cousin avec le mariage de sa filleule. Il l’a investi du duché de Nemours et nommé pair de France, pourquoi l’a-t-il trahi ? Il l’a connu enfant, Jacques était l’ami de Louis, son initiateur au jeu d’échecs, il fut même son favori. Doriole estime que cette parenté si proche, le souvenir d’une jeunesse passée dans l’intimité familiale auraient dû créer des liens indéfectibles. Il ajoute que le duc de Nemours ne veut pas répondre de ces accusations, car il récuse la compétence du parlement pour le juger du fait de ses privilèges de pair de France et de membre du clergé. Louis XI donne son jugement : que le duc s’estime déjà heureux de ne pas avoir été soumis à la question ! Il sort d’un coffre un traité que le duc a signé à Saint-Flour le 17 janvier 1470, dans lequel il a renoncé à tout privilège de juridiction en cas de nouvelle intelligence, conspiration ou machination.


En voyant le titre de l’ouvrage, le lecteur s’attend à une biographie de Louis XI en bonne et due forme, certainement didactique et magistrale, vraisemblablement avec une fibre scolaire, avec une reconstitution historique visuelle consistante, solidement documentée. Les scénaristes optent pour une structure narrative un peu différente : plutôt qu’une exposition d’un fait historique du point de vue du roi lui-même, ou de celui d’un narrateur omniscient, ils optent pour le point de vue de Jacques d’Armagnac (1433-1477), comte de Pardiac et vicomte de Carlat, de 1462 à 1477, comte de la Marche et duc de Nemours de 1464 à 1477. Ils décident d’aménager quelques éléments de la vérité historique pour servir leur dispositif, en particulier supprimer le recours à la question. Ils respectent tous les autres éléments, en particulier le mariage de Jacques d’Armagnac avec une des cousines du roi, qui l'investit du duché de Nemours, lui confit des commandements importants, et le fait que le duc se range parmi les ennemis du roi, et obtient deux fois son pardon. Les déclarations faites par le duc lors de son interrogatoire sont complétées par soit des reconstitutions des retours en arrière, soit par l’intervention d’autres personnages comme celui de monsieur de Commynes. Le lecteur constate qu’il y a de nombreux éléments d’informations à exposer, soit par le biais des discussions et interrogatoires, soit par les reconstitutions.



S’il n’est pas familier ave cette période historique, le lecteur va avoir besoin de temps pour assimiler tout ce qui est raconté, et pour rechercher des éléments complémentaires de temps à autre. En effet, le dispositif narratif est à la fois dense et sciemment lacunaire, puisqu’il n’expose que le point de vue du duc de Nemours, parfois un peu élargi. Par exemple, les auteurs évoquent régulièrement la guerre de cent ans, sans pour autant en faire une présentation. S’il ne le sait déjà, le lecteur comprend qu’il s’agit d’un conflit opposant les le royaume de France à celui d’Angleterre, et il peut se rafraîchir les idées en ligne sur les dates, de 1337 à 1453. Rapidement il constate qu’il lui faut également aller se rafraîchir la mémoire sur ce que recouvre le terme Praguerie : une guerre menée contre le roi de France par les grands féodaux du royaume entre mi-février et mi- juillet 1440. Ainsi le choix des auteurs est de mentionner les grands événements sans se lancer à chaque fois dans un long cours d’histoire : le siège de Pontoise (du 6 juin au 19 septembre 1441), le siège de Dieppe (du 02 novembre au 1442 au 15 août 1443), le mariage de Louis XI à Charlotte de Savoie en 1451 (sans mentionner qu’il se fit en deux temps), la ligue de Bien public (1465; coalition de grands vassaux du roi pour lutter contre sa politique), la bataille de Montlhéry (16/07/1465), le traité de Conflans (05/10/1465), le siège de Beauvais (1472), le siège de Neuss (de juillet 1474 à mai 1475), le traité de Picquigny (29/08/1475 qui met fin à la guerre de Cent ans), la bataille de Morat (22/06/1476), etc.


Comme d’habitude dans ce genre d’ouvrage, le dessinateur a fort à faire pour donner à voir une époque passée, en visant la meilleure authenticité possible. Par comparaison avec certaines séries historiques réalisées selon des processus très contraints, la narration visuelle s’avère ici plus organique et moins stéréotypée dans ses cadrages. L’artiste investit beaucoup de temps et s’implique pour réaliser des dessins étoffés, en particulier pour les tenues vestimentaires et les décors urbains, en extérieur comme en intérieur. Ainsi la curiosité du lecteur est en éveil pour repérer les façades connues, ou les accessoires qui attestent du mode de vie de l’époque, ou encore les ornementations des habits en fonction de la richesse et du statut social de celui qui les porte. Il se régale ainsi tout du long du tome.



L’artiste fait également preuve d’une grande souplesse dans la mise en scène : il sait s’adapter à chaque situation, et se renouveler même lors des discussions récurrentes entre des personnages assis, et donc statiques. Il conçoit des prises de vue bien plus sophistiquées qu’une simple alternance de champ et de contrechamp, prenant soin de montrer à chaque fois l’environnement dans lequel se déroulent les échanges. Le lecteur ressent pleinement ce savoir-faire, d’une qualité bien supérieure à l’application d’un catalogue d’angles de vue prêts à l’emploi pour dramatiser artificiellement les situations. Le lecteur se retrouve immergé dans des situations aussi différentes qu’une partie d’échecs avec des êtres humains jouant le rôle des pièces sur une échiquier en plein air, parmi les cavaliers pour une chasse au sanglier, sur des échelles pour donner l’assaut à une ville fortifiée, reçu à la cour du duc de Bourgogne avec faste, au milieu de la foule pour le couronnement de Louis XI dans la cathédrale de Reims, sur un pont fort robuste avec un treillis de bois aménagé au milieu pour séparer deux rois, ou encore dans une armure sous un soleil de plomb, etc. Éventuellement, il note que les champs de batailles ont tendance à se ressembler.


Le texte de la quatrième de couverture annonce que cette bande dessinée opte pour une forme de réhabilitation, montrant ce qu’il en est derrière la réputation de ce roi qualifié de machiavélique, cruel et maladif. En fonction de ses connaissances préalables sur ce roi et cette période de l’histoire, le lecteur peut, dans un premier temps, ressentir une forme de frustration : soit parce qu’il a trop d’informations à assimiler et à aller chercher en complément, soit parce qu’il est déjà familier avec cette période et que Louis XI n’est perçu qu’au travers d’un tiers, Jacques d’Armagnac. Toutefois, il se laisse entraîner par ce récit dense et solide, par l’enjeu d’établir le crime de lèse-majesté, par le plaisir de découvrir les faits historiques majeurs par les yeux des auteurs. Dans la dernière partie, Louis XI prend la parole et le devant de la scène, apportant un éclairage complémentaire et différent sur les événements relatés par son ami d’enfance. Cela leur apporte un autre sens et étoffe la personnalité du roi, de manière élégante.


Voir le roi Louis XI par les yeux de son meilleur ami, qui l’a trahi à plusieurs reprises. Un parti pris intéressant pour donner à voir les actions de ce monarque avec un point de vue particulier. La narration visuelle fait plaisir à découvrir, œuvre d’un solide artiste, metteur en scène émérite pour insuffler de la vie dans chaque scène, discussions assises comme batailles de guerre, sans répétition, avec une reconstitution historique soignée. Le récit s’avère dense en événements, nécessitant parfois des connaissances supplémentaires soit dont le lecteur dispose déjà, soit qu’il doit aller rechercher. Le résultat est à la hauteur de l’ambition des auteurs qui n’œuvrent pas tant à la réhabilitation d’un personnage historique injustement affublé de qualificatifs infamants, qu’à raconter une période décisive dans la construction du royaume de France.



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