jeudi 18 juillet 2024

Fox T07 Los Alamos, trinity

La peau des lézards craquait sous le soleil.


Ce tome est le dernier d’une heptalogie, il fait suite à Fox, tome 6 : Jours corbeaux (1997). Sa première édition date de 1998. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Jean-François Charles pour les dessins, et Christian Crickx pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-six pages de bandes dessinées. La série a bénéficié d’une réédition intégrale en deux tomes en 2005, puis en un tome en 2024.


Ils s’arrêtaient toujours à la même station, un motel où le convoyeur avait une amie derrière le bar. C’était en fin de matinée. La peau des lézards craquait sous le soleil. Le conducteur reste au volant, alors que l’autre convoyeur descend et rentre dans le café où il salue la serveuse Leila, en lui indiquant qu’ils ont besoin d’essence. Elle se montre hésitante, et lui dit que Jimmy est absent et qu’il n’y a personne pour servir à la pompe. Il plaisante, lui disant qu’à un autre moment ça les aurait arrangé, mais que là il ne peut pas, car il emmène une de leurs grosses huiles jusqu’à l’aéroport. Tout d’un coup, un individu cagoulé d’un bas sort de nulle part et pointe un revolver sur la tempe de Leila. Il intime au convoyeur de ne pas bouger et de déposer son arme au sol, en douceur. L’autre n’hésite pas un seul instant, dégaine, et tire sur l’agresseur qui riposte en même temps. Le convoyeur s’écroule à terre, mort. Jacobi découvre son visage et neutralise la fille en la ligotant et en la bâillonnant. Il vient de tuer son premier homme. Il sort et il constate qu’au-dehors ce n’est pas mieux. Le corps du chauffeur gît au sol. Rien ne se déroule comme prévu. Et le pire reste à venir. Un autre homme cagoulé, Lucky, se dirige vers l’arrière du fourgon et il constate que le passager s’est enfermé.



Lucky tire sur la serrure de la porte arrière, et il découvre le professeur Waldstein en train de trafiquer dans la mallette posée au sol. Il l’abat d’une balle. Jacobi s’en prend au tueur, mais il reçoit une balle dans le dos tiré par le troisième homme, l’Indien. Jacobi ne peut plus bouger, mais il a gardé toute sa lucidité. Lucky place alors son arme dans la main de l’homme à terre. L’Indien glisse la sienne près du professeur. Armes nettoyées de toutes traces antérieures. Reste la mallette dont Jacobi ignore tout. Lucky et l’Indien l’emportent et s’en vont. Un silence impressionnant règne sur les lieux. Jacobi ferme les yeux. Une veine bat près de sa tempe. Un grondement qui devient une voix. Une voix connue… Celle de M. Loko qui dirigeait la cellule communiste locale dépendant du Civil Right Congress, organisation à laquelle ils adhéraient tous. Loko explique à la demi-douzaine de personnes présentes que jusqu’à présent leur camarade était parvenu à duper les fascistes pour lesquels il travaille. Loko continue : Mais il vient d’être démasqué et Loko craint pour sa vie. D’ici peu il sera transféré devant la Cour Suprême du pays, autant dire qu’ils ne le reverront jamais, à moins que… Loko indique qu’il a besoin de trois personnes pour enlever le camarade sur la route qui doit le mener à l’aéroport. Il y a trois volontaires : l’Indien, Lucky et Jacobi.


En découvrant le titre de ce dernier album, le lecteur s’interroge sur son contenu, car la série se déroule dans les années 1950, et Trinity renvoie au premier essai de l’arme nucléaire, le seize juillet 1945. La scène d’introduction laisse penser que le récit se déroule effectivement dans la région du laboratoire Los Alamos dans le Nouveau Mexique. Par la suite, le récit change progressivement de région pour aller se dérouler dans l’Indiana à Trinity Point dans le Maryland. Pour autant, l’intrigue se rattache bien à la suite de l’histoire de la bombe atomique après la seconde guerre mondiale, enfin une version fictionnelle. Dans le même temps, l’artiste continue de magnifier la simple réalité des États-Unis de cette époque, la tirant vers une forme mythologique. C’est donc un vrai plaisir de voir ce long ruban d’asphalte qui se déroule dans une zone désertique avec une station-service au milieu de nulle part, puis cette course-poursuite dans un champ de blé, avec un avion le survolant évoquant littéralement North by northwest (1959, La mort aux trousses) d’Alfred Hitchcock (1899-1980), une rue très typée d’une grande métropole des États-Unis, une côte avec un phare… Tout cela concourt à un récit à suspense dans un environnement familier pour ce genre, avec la promesse du fin mot de l’histoire concernant la machination dont Jacobi, condamné à la chaise électrique, s’est retrouvé la victime.



Toutefois, alors que l’intrigue progresse, les circonstances dans lesquelles Jacobi s’est retrouvé piégé sont révélées, et le lecteur constate qu’il ne s’agit pas d’une oie blanche. Certes il souhaitait lutter pour les droits des afro-américains, tout en étant conscient qu’il ferait usage de la violence, et il tue ainsi son premier homme. Dans les différentes scènes où il apparaît, il est montré comme un homme d’une belle stature, sans musculature exagérée, en retrait par rapport aux autres. Cela amène le lecteur à le considérer comme un être faillible et complexe. L’Indien, un de ses deux comparses, à qui l’artiste donne une carrure un peu plus développée, arbore un visage fermé, à l’expression dure. Il s’est porté volontaire pour le coup de force, en toute connaissance de cause : piéger Jacobi et éliminer les témoins gênants. Ce qui ne l’a pas empêché d’être piégé à son tour, et de se retrouver sur la liste des individus à éliminer définitivement. En ce qui le concerne, les circonstances amènent Allan Fox à collaborer avec lui, en sachant ce qu’il en est de son passé. Ce constat déstabilise le lecteur qui voit que les criminels se sont fait manipuler par plus forts qu’eux. D’un côté, cela induit que les vrais responsables représentent un danger encore plus grand, de l’autre que l’activiste et les deux mercenaires peuvent bénéficier d’une seconde chance.


Les circonstances amènent donc le héros à s’associer avec ces malfaiteurs. D’un côté, Allan Fox conserve sa prestance : une belle chevelure argentée, et un costume impeccable. Il apparaît dans vingt-quatre pages, soit tout juste plus de la moitié de la pagination. Son comportement respecte la moralité du début jusqu’à la fin : il brandit à quelques reprises une arme à feu, mais sans tuer ou blesser personne. Dans un premier temps, sa motivation reste celle d’honorer la promesse qu’il a faite à la mère de Jacobi de le sauver, puis il s’agit pour lui de déjouer un complot qui menace le peuple américain. Ses actions en font un héros pur, recourant à l’usage de la force qu’en cas de nécessité, préférant estourbir ses adversaires, sans jamais donner la mort. Par comparaison, Edith apparaît plus dans l’action et le résultat. Physiquement, elle reste la même que dans le premier tome : une belle jeune femme mince, séduisante. Sa tenue vestimentaire a évolué : soit un simple jean et teeshirt blanc pour l’action dans la première moitié du récit, soit une belle robe de soirée pour la deuxième partie. Elle apparaît dans vingt-neuf pages de ce tome, c’est-à-dire plus que Fox. Elle manie le fusil avec dextérité, pas loin du niveau de tireuse d’élite, sans qu’il soit mentionné comment elle a acquis ce talent. Elle n’hésite pas à mettre à profit ses charmes, en particulier pour inciter un conducteur à s’arrêter sur une route en rase campagne. Les auteurs semblent s’en amuser, tournant ses efforts en dérision puisqu’aucun homme ne succombe à cette tentation visuelle, et il faut que ce soit Allan Fox qui emploie des moyens plus directs.



Un peu plus loin, Edith déguste un verre de rhum dans une boîte de jazz, tout en écoutant, Fox, Jacobi et l’Indien évoquer les affaires de Monsieur Loko (Francis Kine), celui qui les a manipulés pour accomplir ce vol duquel il ne doit rester aucun témoin. Légèrement gaie, elle se vante d’attirer l’attention de Loko grâce à la robe qu’elle a choisie pour la soirée à venir, qu’elle va faire succomber tous les hommes. Elle ajoute qu’elle doit leur plaire, car c’est pour ça qu’on l’a engagée. Après ce discours assez déconcertant par sa franchise et son assurance, elle joue effectivement les séductrices lors de ladite soirée. Le lecteur la voit ainsi s’émanciper du rôle habituel de la belle femme dans les récits d’aventure classique, d’une manière qui apparaît maladroite, comme si elle bravait sciemment les codes, consciente de la transgression, sans être pleinement certaine d’être à la hauteur. Ce comportement ressort encore plus du fait que dès la soirée et dans le dernier tiers du récit, elle redevient cantonnée audit rôle limité : sauvée par l’intervention du héros, puis personnage en fond de case sans incidence sur le déroulement des péripéties.


Le lecteur se trouve pris par l’intrigue : une structure de thriller, des personnages engagés dans une course contre la montre pour découvrir la vérité, pendant qu’un des criminels a mis en place l’explosion d’une bombe de grande envergure, à leur insu. Le dénouement surprend par sa brièveté, tout étant réglé en deux pages avant la fin du tome. En même temps, les auteurs mettent en scène des individus agissant en adulte, dans un monde réaliste, la manipulation des individus aveuglés par une cause, la tentation du pouvoir et la fomentation d’un coup d’état, les circonstances qui forgent des alliances contre nature, l’appât du gain, le pouvoir de la séduction.


Dernier tome de la série : peut-être que les auteurs en avaient conscience et qu’ils en ont tiré profit pour réaliser un diptyque plus ambitieux, avec un tome sur la peine de mort, et celui-ci sur un complot de grande envergure qui dépasse les personnages impliqués. Le scénariste sait jouer de l’intrication des actions individuelles pour à la fois alimenter le suspense de son thriller, et à la fois montrer que les plans les mieux ourdis ne se déroulent jamais comme prévu, avec une narration visuelle sophistiquée, entremêlant élégamment vision mythique des États-Unis, réalisme ordinaire, et hommages visuels. Savoureux.



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