mardi 19 mars 2024

Sexologie

C’est important les secondes chances, voire les troisièmes.


Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, encore que la dernière page se termine sur la mention : À suivre… La première édition date de 2023. Il a été réalisé par Maurice Barthélemy pour le scénario et la mise en scène. Il comprend soixante-quatorze pages de roman-photo. Il est interprété par douze acteurs en plus de l’auteur : Caroline Proust, Philippe Dusseau, Florence Maury, Pierre Hessler, Emmanuelle Bodin, Thierry Degrandi, Raphaelle Lenoble, Alexandre Tisseyre, Guillaume Prieur, Tess Barthélemy, Jennifer & Raphaël. L’équipe de réalisation est composée d’un responsable de la photo, d’une responsable de production (direction de collection, fournisseuse de pains au chocolat et de chaufferettes) d’un premier assistant, d’un responsable de la maquette et des truquages, d’un responsable du story-board et des illustrations.


Quelque part à Paris, dans la cour intérieure d’un immeuble, devant porte d’un appartement une femme d’une soixantaine d’années accueille un monsieur en lui indiquant qu’elle l’attendait, en l’appelant monsieur Ledieu. Il la reprend : son nom, c’est Alex Primar. La psychologue, madame Shumacher, ne se souvient pas avoir rendez-vous avec lui, et elle le dirige la porte d’en face, estimant qu’il confond le cabinet de psychothérapie avec le vétérinaire. Primar lui fait observer qu’il n’est pas un chien. Il lui demande si elle est bien madame Schumacher, ce qu’elle confirme. Au vu de sa réponse positive, à son tour, il lui confirme que c’est bien ici qu’il a rendez-vous. Elle ne s’en souvient pas, mais elle le fait rentrer dans son cabinet. Ils s’assoient chacun dans un fauteuil côte à côte, face à une table basse. Elle lui demande ce qu’elle peut faire pour lui. Il répond qu’en fait il est venu la voir parce qu’il ne bande plus.


Madame Schumacher relance la discussion par un C’est-à-dire ? Il répète : ben il ne bande plus. Elle reformule : il souffre d’un problème d’érection. Il rétorque que c’est grosso-modo la même chose. Elle lui demande si c’est un problème récent. Il développe : il n’a pas dit que c’était un problème, ni qu’il en souffrait. Il est venu la voir pour trouver une solution. Ça n’implique pas forcément que c’est un problème et qu’il en souffre. Ça fait un an et demi qu’il ne bande plus, et ça s’est arrêté d’un coup. Elle souhaite savoir si cela fait suite à un événement particulier : il pense que non. Avant il n’avait aucun problème pour bander. Il lui arrivait même de se branler une ou deux fois dans la journée. Et il bandait encore le soir quand il faisait l’amour avec sa nana. Un peu plus tard, il marche dans la rue avec un copain et il discute. Son ami souhaite savoir ce qu’elle lui a répondu. Alex se souvient : un truc du genre Pourquoi se masturber plusieurs fois dans une journée si on sait qu’on va retrouver sa copine le soir ? Alex a répondu que ça n’avait rien à voir. Son ami souhaite savoir s’il était amoureux de Noémie. Alex pense que oui. Il se rend compte que son ami ne l’écoute plus.

Après Éric Judor avec Guacamole Vaudou (2023), c’est au tour d’un des membres de la troupe des Robins des Bois (Pierre-François Martin-Laval, Marina Foïs, Maurice Barthélemy, Pascal Vincent, Élise Larnicol, Jean-Paul Rouve), de se lancer dans le roman-photo. Enfin non, pas tout à fait : la couverture précise qu’il s’agit d’un photo-roman, avec un astérisque renvoyant à une explication, c’est-à-dire qu’un photo-roman est un roman-photo mais en mieux. Le lecteur se retrouve bien avancé avec ça. Il découvre une histoire racontée sous la forme de cases disposées en bande, parfois une image en pleine page, avec des personnages s’exprimant dans des phylactères, comme un dispositif classique de bande dessinée. Comme dans un roman-photo traditionnel, les personnages sont incarnés par des acteurs, une douzaine dont l’auteur, et la réalisation de l’œuvre nécessite la participation d’une équipe logistique en plus du photographe. Par comparaison avec un roman-photo traditionnel, le lecteur observe dès la première page que les décors et les environnements ont une apparence différente : il ne s’agit pas de photographies. Ils présentent une apparence de dessins : des formes détourées à l’encre ou avec un crayon très sec, et de vagues nuances de gris utilisées avec parcimonies. Dans l’équipe, il est fait mention de Guillaume Prieur, responsable de la maquette et des trucages. Le lecteur subodore qu’il a été appliqué un ou plusieurs filtres aux arrière-plans des photographies, jusqu’à leur donner cette apparence. Cette technique permettrait également d’ajouter plus facilement (ou à moindre coût) de menus détails.


Le récit commence avec l’arrivée d’Alex Primar dans le cabinet de la psychologue madame Schumacher qui l’avait oublié, et avec le début de sa première consultation au cours de laquelle il indique ce qui l’amène là. D’un côté, cette thérapeute n’est pas sexologue ; de l’autre côté, le problème du personnage est de nature sexuelle. En page dix, la scène a changé et Primar raconte cette séance à un ami. En page treize, la scène change une nouvelle fois, avec Primar assis sur un banc, en train d’imaginer la conversation d’un homme et d’une femme qu’il voit en train de discuter à la fenêtre d’un appartement du premier étage. Il les surnomme JB et Mathilde, et une femme vient s’assoir à côté de lui sur le banc. En page vingt, commence la deuxième séance de Primar avec madame Schumacher. En page vingt-quatre, le récit revient à la scène de dialogue entre Primar et la dame sur le banc. Puis en page vingt-six retour à la séance de thérapie, en page vingt-neuf nouvelle discussion entre Primar et son ami, en page trente-quatre retour à la séance de thérapie. Cette alternance induit un certain dynamisme, sans toutefois que le lecteur ne discerne la raison de cette chronologie recomposée.


Le lecteur a pu être attiré par le titre, évoquant une forme ou une autre de l’étude de la sexualité et de ses troubles. Le problème que rencontre Alex Primar relève effectivement de cette discipline, tout n’apparaissant que durant ces deux séances de psychothérapie et une visite chez une péripatéticienne, pour ne revenir qu’en dernière page du récit, avant l’épilogue. Quant à l’intrigue proprement dite, elle s’apparente à une tranche de vie, le personnage principal se rendant à deux séances chez la psychologue, papotant avec un pote, et se liant d’amitié avec une propriétaire de chien, rencontrée par hasard dans la rue. Tout en supposant que le titre annonce un thème présent dans chaque séquence, soit de manière explicite, soit de manière implicite, le lecteur s’interroge sur la structure du scénario, le lien logique entre chaque séquence n’apparaissant pas de façon évidente. D’un autre côté, la forme du récit, à base de photographies, lui assure une empathie automatique avec les personnages. Il peut très bien ne pas se reconnaître dans ces parisiens semblant un peu désœuvrés (pas sûr qu’ils travaillent, sauf madame Schumacher), mais leur caractère ordinaire les rend accessible. Maurice Barthélemy avec son air un peu bas du front, et ses vêtements confortables. Madame Schumacher, la soixantaine, dont le lecteur peut voir qu’elle conserve une forme de distance prudente, voire une forme de désintérêt pour son client. L’ami peu soucieux de son apparence et facilement distrait. Seule la propriétaire de chien semble plus vive, avec un soupçon d’élégance, mais sans arriver à se faire comprendre par Alex Primar.

Le lecteur s’habitue rapidement à la forme de photo-roman, avec les décors comme passés au travers d’un filtre donnant l’apparence de dessins au crayon. Cela a pour effet de rendre les personnages plus réels car sous forme de photographie, ressortant d’autant plus sur les décors moins réels car étant comme dessinés. Cela peut apparaître étrange dans les trois images en pleine page (pages trois, quarante-sept et cinquante-deux) qui sont dépourvues de personnage humain, comme si l’ouvrage basculait dans la bande dessinée. La direction des acteurs privilégie les poses naturelles, et joue parfois sur l’exagération de l’expression d’un visage pour mieux faire apparaître une émotion, ou pour susciter un effet comique. Les prises de vue s’avèrent variées, sans effet spectaculaire, participant à la fois à inscrire le récit dans un réel ordinaire, à la fois à une narration visuelle diversifiée et intéressante. L’intrigue est dépourvue de tout rapport sexuel ; seule une prostituée apparaît le temps de quatre pages dans un chaste déshabillé, là encore dans une mise en scène banale dépourvue de titillation.


Arrivé à la fin, le lecteur éprouve la sensation d’avoir lu un prologue à une série, plus qu’un récit complet. Il peut être conforté dans cette impression s’il a, par ailleurs, lu une interview de l’auteur dans laquelle il déclare qu’il avait écrit cette histoire pour que ce soit une série télévisée, et que lors d’une discussion avec son éditeur, le projet a évolué vers un photo-roman avant de le décliner en série. En connaissant l’auteur, le lecteur sait également qu’il va bénéficier de son humour nonsensique, héritage des Robins des Bois. C’est bien le cas, entre des scènes non sequitur, des remarques sortant de nulle part, un humour naissant de contrastes extrêmes, de rapprochements imprévisibles et incongrues, ou encore d’énormités proférées comme s’il s’agissait de banalités. Ce genre d’humour s’avère des plus délicats à manier, en fonction de la sensibilité du lecteur, pour évoluer entre des fulgurances géniales et des remarques triviales, préférant le troisième degré au second degré, c’est-à-dire en se moquant de moqueries sur la situation ou un comportement. Ce qui peut parfois apparaître comme une ringardise idiote, pathétique, une facilité juste navrante. Finalement, le lecteur se trouve bien en peine de cerner l’intention de l’auteur, de synthétiser sa lecture pour savoir ce qu’elle dit. Le thème de la solitude semble l’emporter, chaque personnage reste dans son monde, ses tracas, son expérience de vie, sans pouvoir se connecter à autrui, celui-ci également trop préoccupé pour pouvoir investir l’attention nécessaire pour une connexion empathique.


Un photo-roman ou un roman-photo ? Des personnages photographiés évoluant dans des décors apparaissant comme dessinés. Des individus d’une banalité confondante dont le comportement révèle la singularité de leur personnalité, l’investissement impossible à consacrer pour pouvoir prêter une attention à autrui qui pourrait déboucher sur un dialogue profond, une empathie qui ne serait pas que superficielle. Un humour absurde souvent quitte ou double, entre effet de décalage énorme, et trivialité navrante.



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