jeudi 7 septembre 2023

Les maléfices du Danthrakon T02 Succès Damné

Un scribouillard qui écrit ira plus loin qu’un génie qui rêve.


Ce tome fait suite à Les Maléfices du Danthrakon T01 La diva des pics (2022) qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu avant, ce qui n’enlève rien au fait que ce soit une bonne bande dessinée. La première édition du présent tome date de 2023. Il a été réalisé par Christophe Arleston & Olivier Gay pour le scénario, par Olivier Boiscommun pour les dessins, et par Claude Guth pour la mise en couleurs. Il compte soixante pages de bande dessinée. L’édition initiale se termine par un entretien exclusif avec Lathan Dangodo, l’incroyable auteur de Succès Damné !, comprenant sept pages illustrées par les crayonnés du dessinateur.


C’est à Parys que commence cette histoire, celle d’un homme pour qui l’écriture était toute sa vie ou presque. Dans cette capitale des arts et de la culture, traversée par le fleuve spleen et irriguée par la sagesse des siècles, poètes, peintes ou écrivains ou gravé leur nom dans le marbre de la légende. Lathan Langodo rend visite à son éditeur Brumelet qui est également libraire et imprimeur. Ce dernier l’informe que son livre va être un succès, il va en imprimer quarante exemplaire. Il a prévu le grand jeu ! Même mettre des affiches chez le boulanger de la rue Neuve ! Lathan est tout ému : ça lui fait quelque chose quand même ! Quarante exemplaires : est-ce que ça va augmenter le montant de son avance ? L’éditeur élude élégamment la question. Lathan ressort et rentre chez lui. Il passe devant l’étal du boulanger, celui-ci lui offre une miche de pain blanc de la veille, comprenant qu’il est sans le sou. L’écrivain passe ensuite devant l’étal du boucher qui le menace de son hachoir en lui disant qu’il faut qu’il le rembourse, sinon il finira dans ses saucisses. Il presse le pas, continue son chemin et manque de se faire écraser par un carrosse.



L’échevin Fomelio sort du carrosse qui s’est arrêté, et il tend la main à la jeune Murcille pour l’aider à en descendre. Il s’approche de Lathan Dangodo assis par terre, les vêtements tachés de boue. Murcille présente Lathan comme étant son compagnon, Fomelio lui répondant qu’elle mérite mieux et qu’il l’attend le lendemain à l’aube pour examiner le dossier du nouveau pont. Les deux amoureux regagnent leur modeste appartement situé très haut sous les combles, après d’interminables volées d’escalier. Lathan explique à sa compagne qu’il n’aime pas son employeur. Elle répond que l’échevin Fomelio est un peu arrogant, mais que c’est une chance de carrière pour elle. Pour le moment, elle est sous-apprentie stagiaire, et un jour, elle sera payée. Lathan estime qu’il veut surtout la mettre dans son lit. Elle change conversation et lui demande combien il va toucher par livre, il répond huit sous de cuivre. Elle estime que s’il vend tous les exemplaires, cela leur donnera de quoi manger pendant une semaine ou deux. Alors qu’il a presque passé un an dessus. Il mérite tellement mieux ! À la nuit tombée, Lathan va souvent hanter les tavernes, non pas pour boire, mais pour conter ses textes. Un des clients lui donne un pourboire, pas pour l’encourager, mais pour qu’il arrête.


Deuxième tome de cette série (en quelque sorte) dérivée, et déjà un coup de cœur pour le titre au jeu de mot si évocateur. Il faudra peut-être un peu de temps au lecteur étourdi pour bien identifier le suivant qui joue sur l’association du prénom, Lathan, et du nom de famille, Dangodo, du personnage principal. S’il a été vraiment attentif, il aura relevé celui dans la deuxième planche lorsque l’éditeur indique à son écrivain qu’il est un vrai talent, Lathan (talent latent). Puis le déclic se fait lors du rapprochement entre prénom et nom : un hommage à la pièce de théâtre En attendant Godot (1948/1952), de Samuel Beckett (1906-1989). Tout du long de l’ouvrage, le lecteur se met à fureter pour trouver d’autres associations de mots ou d’autres rapprochements. Il relève également des clins d’œil à des petites phrases, ou des références culturelles, qui se retrouvent parfaitement intégrées dans le flux de la narration. Un chariot de vente de saucisses dans des petits pains, premier métier du seigneur marchand Pyrinthe : vendeur de hotdogs. Une sentence qui tombe : quand on veut on peut, il suffit de traverser la rue (Emmanuel Macron, 15 septembre 2018). Les premiers emplois raillés par une remarque ingénue de Murcille qui est sous-apprentie stagiaire, et un jour elle sera payée. Ou encore : l’échevin Fomelio l’a laissé gérer ce dossier toute seule, d’accord elle était la seule disponible et il ne la paie pas, mais quand même. Le lecteur observe que ces formes de référence trouvent également leur place dans la narration visuelle de manière souvent étonnante et amusante. Ainsi la demeure du seigneur marchand Pyrinthe dont il est dit : Il avait fait du chemin, jusqu’à pouvoir s’offrir un palais peu discret, sur une île privée, au cœur de la cité. L’architecture de cette demeure et son emplacement évoquent Notre Dame de Paris sur l’île de la Cité. Ou encore la loge des mages (qui a pris le nom pompeux d’académie, mais ça n’en reste pas moins un repaire de vieux grigous boursoufflés et jamais contents de leurs petits privilèges) abritée dans un bâtiment à la forme décalquée sur celle de la tour Eiffel.



Chaque composante de la narration se savoure pour elle-même, intrigue, dessins, couleurs, bons mots, gags visuels, et le tout s’avère plus riche que la simple somme des parties. Le lecteur éprouve une réelle sympathie pour cet écrivain un peu rondouillard à l’allure débonnaire et soumise, dénué de talent, obligé d’accepter un boulot alimentaire, forcé même par la menace physique de Fryss l’homme de main (d’un autre côté, il est plus facile de prendre la bonne décision quand il n’y a qu’un seul choix comme le fait observer Lathan à Pyrinthe), persuadé que Murcille la belle jeune femme qui partage sa vie, svelte vive et gracieuse, finira par se rendre compte qu’il ne vaut rien. Il se sent privilégié de pouvoir faire du tourisme dans Parys, inspiré de la capitale de la France, repensée dans un mélange de moyen-âge et de Fantasy avec un dosage parfait. Les couleurs acidulées peuvent paraître tirer un peu vers l’enfance, ce qui à la lecture fait sens : un conte tout public avec un dénouement reposant sur une valeur morale universelle. Le tout forme une vraie lecture plaisir, savoureuse, simple et sophistiquée.


De temps à autre, le lecteur adulte peut sentir une réaction réflexe incontrôlable monter en lui, en se disant que quelques composantes sont un peu convenues. Il découvre vite qu’elle n’est pas fondée. Murcille est réduite à une potiche pour décorer : il n’en est rien, elle fait preuve d’un caractère bien trempé, d’une personnalité indépendante faisant ses propres choix, menant sa vie avec détermination et courage. Les méchants très méchants : le seigneur marchand Pyrinthe est mû par l’appât du gain (il paraît que ça existe dans la réalité et que tout est permis dans les affaires) et la morphologie Fryss son homme de main se rapproche de celle d’un crocodile anthropoïde (ce qui est logique et parlant puisqu’il s’agit d’un individu qui utilise sa force physique pour se faire obéir par la peur et l’intimidation). Le scénariste et le dessinateur utilisent avec intelligence, à propos et élégance les artifices narratifs usuels, en leur redonnant de la saveur et des spécificités, à l’opposé de raccourcis fades et en carton-pâte. Les méchants perdent et le gentil gagne à la fin : certes, il n’en reste pas moins qu’il est toujours très satisfaisant, voire cathartique que les brutes et les exploiteurs soient châtiés, et le gentil commence comme un profiteur, juste un peu plus lâche que les autres. Au fur et à mesure, un par un ce qui peut apparaître comme un cliché, perd son unidimensionnalité pour révéler plusieurs facettes ce qui le rend complexe.



Le lecteur pourrait également céder à une impulsion irraisonnée et trouver les dessins trop jolis pour être sérieux. Là encore le plaisir de lecture se nourrit des nombreuses nuances parfumées exhalées par les pages, comme un met raffiné aux multiples saveurs. Plaisir immédiat des yeux, facilité de lecture, évidence et naturel de chaque séquence, personnages qui en disent long, juste par leur visage et leur posture, émerveillement des aventures. Le lecteur retrouve son âme d’enfant et s’implique dans le spectacle, il y éprouve la sensation d’y participer : jouir des belles vues de la ville, monter les interminables escaliers jusqu’à la minuscule mansarde, essuyer le dédain des clients du bar, découvrir le luxe du palais peu discret du seigneur marchand Pyrinthe, voir le string de Murcille passer par la fenêtre, découvrir les tableaux peints par Pyrinthe, plonger dans le livre écrit par Lathan Dangodo, voir le Danthrakon se tortiller, être à deux doigts de perdre l’équilibre et chuter dans le vide, voguer sur un petit voilier et être la proie d’enchantements magiques ayant perdu de leur puissance, fuir les morts qui reviennent à la vie, etc. Une aventure visuelle riche et chaleureuse dans le plus pur style Heroic Fantasy urbaine, une comédie dramatique enlevée et nuancée.


Dans le même temps, c’est l’histoire d’un écrivaillon devenu prête-plume qui prend un raccourci pour accéder au succès. L’auteur parle de son métier, nourrit son récit d’anecdotes de ses débuts et d’autres de ses confrères. Il sait de quoi il parler et ça se sent. Dans les sept pages d’interview de Lathan Dangodo en fin de volume avec des esquisses de Boiscommun, le lecteur sent bien le mélange d’histoire personnelle des auteurs, accommodée au caractère du personnage. Il y voit autant du vécu qu’une prise de recul sur ce métier. Il suit le cheminement des questions : comment faire pour écrire, qu’est-ce que le succès apporte, ce qui donne envie d’écrire, la discipline nécessaire pour écrire, la relation avec l’éditeur, et des conseils sur la manière de construire une histoire, de développer des personnages, de les étoffer, etc. Il peut s’amuser à se repasser l’aventure qu’il vient de lire et de voir comment les auteurs ont appliqué leurs propres conseils. Il se tend, anxieux de découvrir la réponse à la dernière question : et la suite ?


Une couverture très travaillée, des pages appétissantes et faciles à lire, une aventure échevelée, une belle histoire d’amour, une vocation intense, un soupçon de magie et de fantastique, des créatures aux allures bizarres, un sens de l’humour respectueux et piquant. Un divertissement exceptionnel, une comédie dramatique aussi classique vivante, une belle ode à une vocation : écrivain. Parfait.



3 commentaires:

  1. Lathan Dangodo - Je me suis tout de suite interrogé sur le jeu de mots, merci de dévoiler la solution plus loin dans ton article.

    Dans cette capitale des arts et de la culture - Une aura complètement perdue aujourd'hui, il n'en reste rien. Enfin, ce n'est que mon avis et il n'engage que moi.

    quand on veut on peut, il suffit de traverser la rue (Emmanuel Macron, 15 septembre 2018) - Pfff, un autre grand moment où il aurait été plus avisé de jouer la carte de l'empathie plutôt que celle de la gifle verbale.

    Le lecteur pourrait également céder à une impulsion irraisonnée et trouver les dessins trop jolis pour être sérieux - Voire trop humoristiques pour être sérieux. Ils sont sans doute parfaitement adaptés au ton de la série. Mais il n'y a rien à faire, ce n'est vraiment pas mon style et je ne m'y ferai certainement jamais.

    J'en profite pour t'informer que j'ai récupéré "SOS Météores". Quand tu veux. Tu m'informeras quand tu te lanceras, s'il te plaît ?

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    1. Je me suis également interrogé sur la bizarrerie du nom Lathan Dangodo, et il m'a fallu pas mal de temps pour réussir à connecter avec Samuel Beckett.

      Paris capitale des arts et de la culture : je n'ai pas d'avis sur le sujet. Il reste un grand nombre de musées, d’œuvres d'art, de monuments uniques au monde. Quant à l'art contemporain, je manque de culture pour me faire une idée.

      Il suffit de traverser la rue : j'avais également trouvé cette réplique, affligeante, et provoquant une dissonance cognitive insurmontable, entre la réalité du taux du chômage, ainsi que le nombre et les qualités (très relatives) des emplois à pourvoir.

      Les dessins : du peu que je connais des différentes séries écrites par Arleston, il travaille majoritairement de dessinateurs avec des caractéristiques similaires.

      SOS Météores : il me semble avoir mis le fichier correspondant dans nos échanges sur facebook le 13/10/24. Je peux te le renvoyer si nécessaire.

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    2. Non, j'ai bien le fichier dans notre conversation. J'avais oublié que tu me l'avais déjà envoyé ; au temps pour moi (c'est le cas de le dire) !

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