C’est une des missions de l’ethnopharmacologie.
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première parution date de 2023. Il a été réalisé par Stéphane Piatzszek pour le scénario, par Benoît Blary pour les dessins et les couleurs. Il évoque la démarche de Jacques Fleurentin (1950-), pharmacien et ethnopharmacologue. Il se termine avec un dossier de cinq pages, Pour aller plus loin. Celui-ci comprend une postface de Fleurentin rédigée en septembre 2022, une présentation de la Société Française d’Ethnopharmacologie (SFE) et de ses missions (recenser les traditions orales du monde entier, valider par des travaux scientifiques rigoureux le savoir des guérisseurs, diffuser le savoir), une page de repères historiques (de 1598 pour la création de l’université de médecine à Pont-à-Mousson et de ses quatre chaires, à 2017 pour le droguier confié à la SFE), une page de présentation du droguier de la Société Française d’Ethnopharmacologie, et pour finir un bibliographie sélective de neuf ouvrages.
Au temps présent, à Metz, dans le cloître des Récollets. Un couple est en visite dans le jardin des plantes médicinales. Leur enfant s’approche d’une anthémis. Les parents le mettent en garde qu’il s’agit d’un jardin de plantes toxiques. Jacques Fleurentin intervient pour indiquer que les Indiens mettaient de cette plante, sur leurs flèches pour tuer leurs ennemis. C’est une anthémis. Et elle n’est pas plus toxique que la marguerite. Elle a poussé toute seule, elle voulait sans doute être en bonne compagnie. C’est une fleur toute simple qui se balade. Nommée par le grand botaniste Linné en 1753, l’anthémis provient du grec Anthos et signifie Fleurette. Le genre compte plusieurs espèces, dont la camomille qui, elle, est médicinale. Fin des années 1950 à Woippy, en Moselle. Le père de Jacques est pharmacien et il travaille en officine. Il délivre une prescription : prendre des feuilles de camomille en infusion pendant quinze minutes. Trois grammes pour un quart de litre d’eau, et les ballonnements d’après repas, de la cliente, ne seront plus qu’un mauvais souvenir.
Dix ans plus tard, Jacques à dix-huit ans, en mai 1968. Il doit passer son baccalauréat, puis il va entrer en fac de pharmacie, et son père espère bien qu’il reprendra l’officine paternelle. Le jeune homme fait observer qu’il ne connaît que cette pharmacie depuis qu’il a trois ans et qu’il souhaite courir le monde, ce qu’il fait dans une première expédition. L’anthémis, de la famille des camomilles, est une sorte de marguerite au cœur jaune. Lui et ses amis ont choisi son nom pour leurs expéditions car la camomille n’est pas une fleur, mais une société de nombreuses fleurs rassemblées sur un capitule, chacune ayant une spécialisation dans le travail. Ainsi, leur équipage se composait de Martine, en charge de l’intendance, de Jacques, photos et botanique médicale, de Georges, photos, et de Patrick, responsable de la partie mécanique. Découvrir le monde et voir comment les hommes vivent au loin.
La couverture porte la mention : La médecine, autrement. Le texte de la quatrième de couverture précise : Jacques Fleurentin, universitaire et pharmacien, a consacré son existence à ces plantes qui soignent ; une vie d’aventure et de rencontres aux quatre coins de la planète pour découvrir les secrets des végétaux guérisseurs. Le lecteur comprend rapidement qu’il s’agit de suivre cet homme depuis la fin de ses études jusqu’à maintenant, au travers d’une de ses activités : la recherche de plantes médicinales grâce à des guérisseurs, d’abord dans le sud de la Méditerranée, puis au Yémen, et avec le temps dans de nombreuses régions du monde, avec le cas particulier de la Réunion. Il n’est donc pas question de sa vie privée, ou même de ses conférences universitaires. Les auteurs présentent son activité d’ethnopharmacologue, c’est-à-dire l’études des médicaments des autres peuples, des savoirs acquis et transmis à des fins thérapeutiques. Il s’agit donc d’un exposé sur différents aspects : de la première expédition en Turquie à celle à la Réunion, en passant par celle dans le Sahara, au Yémen, la création de la société française d’ethnopharmacologie (SFE) en 1986 et son droguier, et des exemples concrets comme l’anthémis, l’acacia, le qat (khat), les plantes succulentes, la dénomination des plantes créée par Carl von Linné (1707-1778, dans l’ouvrage Systema naturae), l’aloès, etc.
La narration visuelle commence comme une bande dessinée traditionnelle : des cases disposées en bande pour une séquence. Les dessins se situent dans un registre naturaliste : des formes détourées avec un trait fin, pour des personnages et des lieux réalistes. Au fil de l’ouvrage, le dessinateur représente de nombreuses personnes d’origine diverse : Jacques Fleurentin à soixante-dix ans en blouse blanche, le jeune couple et leur enfant, le père pharmacien, les jeunes étudiants au début des années 1970, des Touaregs, un officier de la douane d’Arabie saoudite, Yvette Viallard, médecin-chef de la mission médicale française au Yémen, des guérisseurs rencontrés dans les différents pays. Le lecteur apprécie l’apparence normale de tous ces individus, la cohérence de leur tenue avec l’époque ou la région du globe, l’expression de leur visage ou leur geste dans un registre tout ce qu’il y a de plus banal. De même l’artiste doit représenter de nombreux lieux : le cloître des Récollets à Metz, le désert saharien, un amphithéâtre de fac, un village en Turquie, une vue générale de Kaboul dans les années 1970, la route traversant le désert de Tademaït, des zones très reculées du Yémen, l’intérieur d’une serre du jardin botanique de Villers-lès-Nancy, des zones sauvages de l’île de la Réunion, l’aéroport de Port Vila Bauerfield dans les Vanuatu, et même le HMS Beagle, le navire britannique sur lequel Charles Darwin a voyagé.
L’exposé entremêle des évocations d’expédition de l’ethnopharmacologue, avec des explications sur quelques plantes choisies, et quelques pratiques techniques. Le lecteur peut ainsi apprécier des représentations détaillées de l’Anthemis Nobile (camomille romaine), des plantes du bassin méditerranéen (aubépine, ache, cerfeuil, aigremoine, ail des ours, chélidoine, absinthe, bouillon-blanc, coriandre, bardane, basilic), du calotropis procera, de l’acacia, de quelques plantes du Yémen (euphorbia fruticose, aloe tomentosa, caralluma socotrans, nigella sativa), etc. Ces dessins techniques sont réalisés comme par un naturaliste, pouvant servir de référence au lecteur s’il souhaite s’y intéresser. L’artiste représente également le processus de réalisation d’un herbier, de semis, de recherche d’une plante dans la jungle, etc. La narration visuelle mêle donc des interactions entre êtres humains, des voyages, avec quelques planches plus botaniques. La mise en couleurs semble être réalisée à l’aquarelle, avec une approche, elle aussi, naturaliste, venant enrichir les formes détourées, leur apporter de la consistance, installer l’ambiance lumineuse, que ce soit celle du désert sous un soleil implacable, ou celle artificielle d’une pharmacie en métropole.
Grâce à la narration visuelle, le lecteur se trouve transporté dans le monde de Jacques Fleurentin, entre études sur le terrain, et travail en laboratoire ou en officine, entrecoupé de présentations sur différentes plantes. S’il n’est pas familier du travail de cet homme ou du principe d’ethnopharmacologie, le lecteur ne discerne pas tout de suite la nature de l’ouvrage : entre récit biographique et potentiellement plaidoyer pour une médecine dite douce. Le passage du temps passé au temps présent vient repousser la vue globale sur l’ouvrage. En outre, le lecteur constate que la forme de présentation ne relève pas d’une démarche universitaire, et qu’il lui faut accepter de ne pas avoir toutes les dates, ou toutes les durées, ni même des références rigoureuses sur des textes de loi ou réglementaires. Il comprend progressivement que les auteurs font en sorte de mener concomitamment la progression des pratiques de recherches et la présentation de plantes médicinales pour établir que ce chercheur applique une méthode scientifique, sans velléité de dénoncer les pratiques des grands groupes pharmaceutiques, ou de faire acte de prosélytisme pour une pratique alternative. Progressivement, la narration établit quelques faits qui viennent dresser un état des lieux qui milite pour la préservation des savoirs des guérisseurs, aujourd’hui oraux. 80% des molécules qui soignent les hommes sont issues des plantes. Selon l’OMS, 80% des habitants de la planète n’ont accès qu’aux médecines traditionnelles. Dans toute l’Afrique et les Amériques où prédomine une culture orale, les savoirs ancestraux disparaissent.
Un titre peu révélateur pour une bande dessinée qui parle du métier d’ethnopharmacologue, par le biais du spécialiste français le plus connu : Jacques Fleurentin. Le dessinateur impressionne par sa capacité à rester dans le registre d’une bande dessinée, avec une narration séquentielle, plutôt que des illustrations pour un texte livré clé en main. Il se montre aussi habile et convaincant à reconstituer une époque qu’un lieu, ou à représenter avec précision une plante. Le scénariste a choisi une construction qui entremêle la vie du chercheur avec des éléments sur l’ethnopharmacologie, dans une précision tout public, moins rigoureuse qu’une présentation académique. Le lecteur ressort de cette découverte, avec une idée concrète de ce qu’est ce domaine de recherche, son intérêt et l’enjeu qu’il représente pour l’humanité.
Je me demande d'où tu as sorti cet ouvrage.
RépondreSupprimerParlerais-tu de bande dessinée pédagogique ?
Jacques Fleurentin - Je n'avais jamais entendu parler de lui ; je suppose que l'erreur est réparée. Je suppose que tu le connaissais déjà ?
"Le dessinateur impressionne par sa capacité à rester dans le registre d’une bande dessinée, avec une narration séquentielle, plutôt que des illustrations pour un texte livré clé en main." - C'est pourtant un peu l'impression que ça me donne en consultant les planches.
D'où sort cet ouvrage ? Je consulte régulièrement le site bd.fr, plus particulièrement la rubrique Sorties BD : Les albums à paraître, et j'opère une présélection à partir de là, ajustant mes achats en fonction du nombre de sorties et d'un feuilletage si j'éprouve des doutes sur mon envie de le lire. En l'occurrence, mon envie de diversification a joué car je n'avais jamais entendu parler d'ethnopharmacologie, ni de Jacques Fleurentin. Enfin, les pages me semblaient agréables.
Supprimerhttps://www.bede.fr/bd
Bande dessinée pédagogique : c'est effectivement une de ses composantes, avec également une fibre biographique et une autre historique sur le développement des pharmacologies, la coexistence des médicaments industriels et des principes actifs des plantes, la préservation du savoir oral. J'étais loin de m'imaginer que 80% des habitants de la planète n’ont accès qu’aux médecines traditionnelles, n'ayant jamais connu que les médicaments en comprimés, suppositoires, sirops.
Texte livré clé en main : j'en ai fait l'expérience dans deux ou trois tomes de la collection La petite bédéthèque des savoirs, où il était criant que le dessinateur avait bien du mal pour savoir quelles images réaliser, le texte disant déjà tout. Je n'ai pas eu cette sensation dans ce tome.