lundi 1 mai 2023

Caroline Baldwin - Le voyageur

La rivière est un terrain neutre. Les ennemis viennent y boire ensemble.


Ce tome constitue un prélude à la série Caroline Baldwin (20 tomes de 1996 à 2022) qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lue avant ou même de connaître. Il contient une histoire complète. Sa parution initiale date de 2023. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario et par Nico van de Walle pour les dessins et les couleurs.
Il y a quelques années de cela, alors que Caroline Baldwin était une adolescente, son grand-père l’emmène pour une balade de quinze jours en forêt. Ils partent de la petite ville où réside Robert Baldwin. Ce dernier a emprunté un canoë à son voisin. Il est en train de le fixer sur le toit de sa voiture, et le voisin lui intime d’essayer, cette fois, de lui ramener en un seul morceau. Son interlocuteur lui demande ce qu’il insinue, car la rivière n’a aucun secret pour lui. Il se demande s’il n’essaierait pas de faire peur à Caroline. Il termine en indiquant que s’ils ne sont pas de retour d’ici quinze jours, son voisin pourra commencer à s’inquiéter. Enfin, Caroline et son grand-père sont installés dans la voiture et le voyage peut commencer. Elle se montre un peu rétive : quinze jours de balade en forêt, franchement ça craint ? N’auraient-ils pas, pour une fois, pu aller en Floride comme tout le monde ? Il lui répond qu’il est assez buriné comme ça et qu’il n’a pas besoin d’aller se faire rôtir la couenne comme un vieux phoque. Caroline trouve le temps long en voiture : son grand-père lui répond que ça ne fait qu’une heure qu’ils roulent, et elle décide de piquer un somme. Elle se réveille une fois la nuit tombée.


Le grand-père s’enfonce dans un chemin de terre, et il gare sa voiture à quelque distance de son chalet. Caroline trouve que c’est juste une vieille bicoque, sans charme. Robert Baldwin sort la clef, ouvre la porte et lui offre de pénétrer à l’intérieur : une très grande pièce avec un aménagement rustique tout en bois. Puis il lui demande d’aller chercher quelques bûches sur le côté du chalet : rien de tel qu’une bonne flambée pour réchauffer l’atmosphère ! Caroline sort et se met à chercher des branches mortes au pied des sapins alentours. Elle entend un craquement et se retourne vivement en demandant : il y a quelqu’un ? Personne ne répond. Une main s’abat sur son épaule, lui causant une frayeur : son grand-père qui lui explique que les bûches se trouvent remisées sous un auvent. Elle lui explique qu’elle a cru voir quelqu’un qui l’observait, qu’elle a entendu des branches craquer. Il lui répond qu’elle risque d’en entendre d’autres des craquements de branches, des milliers même ici, car la forêt ça vit. Ils rentrent quelques bûches ensemble et il lui sert le dîner qu’il a préparé. Cette fois-ci Caroline voit passer une silhouette indistincte devant la fenêtre. Robert Baldwin se lève et va ouvrir la porte : deux gardes du parc s’apprêtaient à toquer. Ils viennent leur demander s'ils ont vu quelque chose de particulier, et les avertir qu'une météorite est tombée récemment et que des chasseurs de météorite rôdent.



André Taymans a réalisé seize albums de cette série à un rythme régulier de 1996 à 2012, puis il a effectué une pause pour des raisons diverses. Il est revenu à son héroïne de prédilection en 2017, et a réalisé les albums dix-sept à dix-neuf, puis un album hors-série intitulé Double Dame, avec sa fille Johanna pour le scénario. Avec le présent tome, il s’agit d’un album qu’il a numéroté zéro et dont il a confié, pour la première fois, le dessin à un autre artiste. Ni l’année, ni l’âge de Caroline ne sont précisés. Le lecteur note qu’il n’y a pas de téléphones portables, et que la demoiselle ne doit pas être adulte. Il retrouve une trame assez classique pour la série : une enquête sur des agissements probablement criminels, et une histoire qui se déroule sur un voyage, ici une randonnée canadienne typique, à savoir une descente de rivière dans une immense forêt, peut-être un parc national. Le crime n’est pas avéré, mais potentiel : des chasseurs météorites qui comptent bien mettre la main sur la roche tombée du ciel, avant les autorités pour en tirer des substantiels profits en toute illégalité. N’étant pas encore devenue une enquêtrice pour une grande agence ou à son compte, l’héroïne se retrouve mêlée à cette histoire parce qu’elle est au mauvais endroit au mauvais moment.


Le lecteur habitué de la série craint, dans un premier temps, que le changement de dessinateur obère d’autant le plaisir de lecture, la capacité à rendre compte d’une région sauvage, visitée par le scénariste, mais pas forcément par l’artiste. Dès la première page, il constate que les dessins présentent une sensibilité un peu différente de celle de Taymans : un niveau de détails plus élevé, avec une volonté descriptive plus précise, par exemple dans les maisons et la voiture, ou encore la cabane du grand-père ne s’en trouve que plus consistante et réelle que ce soient ses façades extérieures ou l’aménagement de la grande pièce principale. Une façon de représenter la nature de manière moins épurée, avec un apport des couleurs plus important pour renforcer les volumes et les reliefs. Ce choix fonctionne très bien : l’impression d’espace et de profondeur de la forêt, l’implantation des sapins sur les pentes de la montagne, la couleur de la rivière qui transcrit bien sa fluidité et qui reflète les couleurs environnantes, dont l’eau aurait peut-être pu être plus transparente, l’orignal massif sortant de la rivière, ou encore le terrible feu de forêt. Le lecteur retrouve bien la sensation de randonnée à laquelle Taymans l’avait habitué.



La différence de sensibilité la plus significative se trouve dans la représentation des personnages. La représentation des silhouettes revient dans un registre plus réaliste, moins épuré, pour une sensation plus naturaliste, ce qui donne plus de vraisemblance à ce qui est raconté. D’un autre côté, les expressions de visage peuvent parfois se faire légèrement appuyée pour mieux faire passer l’état d’esprit intérieur du personnage, en particulier les réactions un peu plus vives de Caroline, ou le mysticisme de la vieille aveugle Shipiss. Le lecteur peut se dire que c’est une phase différente de la vie de l’héroïne et que sa façon à elle de percevoir la réalité et de la ressentir était différente, ce que traduisent les dessins. Le lecteur retrouve toute son empathie pour cette demoiselle entière, même si parfois un peu boudeuse, pour ce grand-père bien vaillant, anticipant avec plaisir ces deux semaines dans la nature avec la tranquillité de glisser sur la rivière en canoë, et l’épreuve physique lors des portages. Comme dans une autre histoire de cette série, il s’attache moins à l’intrigue qu’à ce séjour au Canada.


Au vu de l’âge présumé de Caroline, l’auteur évite de lui faire consommer de l’alcool comme elle le fera plus tard dans sa vie. En revanche, il réemploie un dispositif narratif déjà vu dans la série initiale : le rêve. Le lecteur se souvient encore de celui du tome dix-neuf. Il retrouve également un finale semblable à celui du tome seize, qui détonnait déjà par rapport au reste de la série. De la page vingt-huit à la page trente-trois, Caroline est prises dans les affres d’un cauchemar qui s’avère prémonitoire, c’est-à-dire une première touche de surnaturel. Elle se réveille avec un anneau qui a été glissé dans son sac de couchage, comme par enchantement, c’est-à-dire une deuxième touche de surnaturel. Le finale s’avère encore plus explicite sur ce plan, le lecteur ne pouvant même pas attribuer l’existence de ce monstre à l’esprit embrumé de Caroline, car elle est en pleine possession de ses moyens, sans avoir consommé quelque produit psychotrope que ce soit. Le lecteur se dit alors que le scénariste s’est contenté d’une intrigue linéaire et un peu mince, pour fournir une trame de fond à cette randonnée en forêt.



Le lecteur remarque également que Robert Baldwin évoque le fait que sa petite-fille a du sang indien dans les veines. Le comportement de celle-ci laisse supposer qu’elle n’a jamais eu l’occasion de s’aventurer dans des zones sauvages pour plusieurs jours. La vieille dame aveugle appartient à une tribu des Premières Nations, et qu’elle évoque des légendes autochtones, en particulier celle des coureurs des bois, et celle du Voyageur. Le lecteur peut alors considérer l’anneau comme une alliance, une proposition pour Caroline d’embrasser son héritage indien. Avec ce point de vue en tête, le rêve prend alors tout son sens, ainsi que le finale qui n’appartient alors plus au registre de la science-fiction, mais à celui de la métaphore. Dans ce tome, l’auteur indique ce qui aurait pu être pour son personnage si les circonstances et ses convictions ne l’avaient pas conduites à vers d’autres valeurs. Le lecteur fidèle depuis le début de la série peut y voir l’explication de quelques passages où l’intuition de Caroline s’avérait remarquable.


Un tome zéro pour une série débutée en 1996 et ayant subi quelques avanies de parution : une façon de tirer sur la corde ? Pas vraiment : le scénariste reste bien aux commandes de sa série, et il ne donne pas dans la nostalgie. Le fait qu’il ne dessine pas cette aventure aurait tendance à refroidir le lecteur de longue date. L’intrigue s’avère assez mince. En revanche, le dessinateur réalise des planches en cohérence avec l’esprit de la série, sans rien sacrifier de sa personnalité graphique. La randonnée est immersive et de qualité. Progressivement, le lecteur se rend compte que l’enjeu du récit ne se trouve pas dans la chasse à la météorite, mais dans des situations au cours desquelles Caroline Baldwin dispose de l’occasion d’assumer son héritage culturel.



2 commentaires:

  1. un prélude à la série Caroline Baldwin - Un prélude, maintenant. Le fameux tome zéro des comics, en quelque sorte.
    P-S : Tu y reviens d'ailleurs dans ta conclusion.

    Nico van de Walle - Je vois qu'il a dessiné quelques albums de la série dérivée de "Jhen" : "Les Voyages de Jhen".

    Le lecteur habitué de la série craint, dans un premier temps, que le changement de dessinateur obère d’autant le plaisir de lecture - Bon, on reconnaît facilement que ce n'est pas le trait de Taymans. Je suis un peu sceptique devant cette autre version de l'héroïne.

    avec un apport des couleurs plus important pour renforcer les volumes et les reliefs. Ce choix fonctionne très bien - Je ne l'aurais pas mieux dit. Et c'est tout à fait juste, d'ailleurs, en témoigne la seconde planche que tu as insérée en extrait (ou la troisième si l'on compte la couverture).

    Le lecteur peut alors considérer l’anneau comme une alliance, une proposition pour Caroline d’embrasser son héritage indien. - Une interprétation remarquable, c'est bien vu !

    Le fait qu’il ne dessine pas cette aventure aurait tendance à refroidir le lecteur de longue date. - Avec le temps et des expériences telles que "Blueberry", j'en suis arrivé à la conclusion que je préférais un changement de dessinateur qu'un changement de scénariste, sauf dans quelques cas concrets, comme "Tif et Tondu", par exemple.

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    1. Merci pour la précision concernant les autres productions du dessinateur : je n'avais pas poussé la curiosité jusqu'à aller me renseigner à ce sujet.

      Je présume que Taymans n'avait pas le temps à consacrer à dessiner cette histoire qu'il avait entamé il y a fort longtemps. Cet album a bénéficié d'une seconde version qui reprend les crayonnés de Taymans, dans l'état où il avait abandonné le projet en cours de réalisation.

      Très intéressante ta remarque sur les conséquences de changement de dessinateur ou de scénariste. D'une certaine manière, ça implique que le dessinateur est subordonné au scénariste (et je pense que c'est le cas dans la grande majorité des BD) et que la plus grande part de l'âme du personnage ou de la série réside chez le scénariste.

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