mardi 22 novembre 2022

HSE T02

Le marché ne ment pas.


Ce tome fait suite à HSE T01 (2012) : c’est le second dans une trilogie qui forme une histoire complète. Il a été réalisé par le scénariste Xavier Dorison, le dessinateur Thomas Allart, et la mise en couleurs faite par Jean-Jacques Chagnaud, Céline Bessoneau et Thomas Allart. Cette bande dessinée compte quarante-huit planches et sa première édition date de 2014.


Simon Max est en train de jouer au piano dans son penthouse, tout en communiquant avec Félix Fox par téléphone. Il lui demande s’il est prêt à annuler sa vie pour les six prochains mois. Toujours dans le magasin, son poulain lui répond que ça dépend et lui demande : s’il devient directeur chez Zelig, est-ce que Sax lui garantit son augmentation de capital ? La réponse : si la cote de Félix passe la barre des 200, il pourra lever 1 million supplémentaire pour lui. Mais il n’y a pas cinquante solutions : il doit prendre la place de Gustave Leblanc. Tout du long de cette conversation téléphonique, Félix regarde Rachel lui proposer des jouets pour l’anniversaire de Jimmy, le fils d’Angela Hoffman, une collègue de bureau. Après avoir échangé quelques mots sur la manière de faire chuter la valeur de l’action de Leblanc, il remonte dans sa voiture avec sa compagne pour se rendre à la fête. Une fois seul dans la cuisine avec Angela, il lui propose un marché. À contre cœur, elle accepte parce qu’elle a vraiment besoin d’argent.



Dès le lendemain, Angela Hoffman se met à acheter des actions de Gustave Leblanc, par petite quantité, de ci, de là. Durant sa journée de travail, Fox continue d’être souriant et aimable avec son supérieur hiérarchique, le même Gustave Leblanc. Le soir, il se montre à peu près assidu à ses leçons d’indonésien. Il travaille tard le soir, alors que sa compagne Rachelle lui apporte un plateau repas. Elle lui fait promettre d’être présent à la fête organisée pour son anniversaire à lui, le lendemain. Il finit par accepter tout en indiquant qu’il sera en retard. Par le circuit vidéo de surveillance, Simon Sax n’a rien perdu de cet échange. Le lendemain, Angela Hoffman vend les actions de Gustave Leblanc par gros paquets ce qui provoque la chute de sa valeur. Félix Fox suit la dégringolade de ladite valeur sur son moniteur. L’après-midi, arrive enfin la réunion pour nommer un nouveau directeur opérationnel. Tout naturellement le directeur général commence à faire le panégyrique de Leblanc, mais celui-ci s’agace d’entendre son écran bracelet bipper en continu. Lorsqu’il le consulte, il ne peut que constater la décroissance alarmante de la valeur de son action. Félix Fox sert le café et rate intentionnellement la tasse de Leblanc, le liquide atterrissant sur son pantalon. Leblanc est furieux, mais tout le monde peut alors voit son bracelet connecté, et la valeur de son action. Il n’a d’autre choix que de le montrer à tout le monde, et le directeur général laisse tomber sa sentence : le marché a toujours ses raisons. Il réagit rapidement en proposant un autre candidat : Félix Fox, même si le dossier de celui-ci n’a pas été analysé et vérifié de fond en comble. Gustave Leblanc finit par comprendre qui est responsable de la chute de sa valeur.


Le premier tome avait pris le lecteur à la gorge : un récit d’anticipation, aussi basique que bien focalisé, avec une évidence d’une efficacité redoutable. La narration visuelle se focalisait elle aussi sur l’essentiel, sans effet de manche. Le tout se dévorait comme un thriller aussi implacable que logique. Félix Fox parvenait à entrer en cotation sur le HSE, bénéficiait d’un fond propre d’un million d’eurodollar et d’une amélioration significative et fulgurante de son niveau de vie. Le lecteur sait parfaitement à quoi s’attendre : dans ce système, Félix Fox ne peut qu’aller de l’avant, poussé à faire toujours mieux par ses actionnaires qui exigent toujours plus de dividendes, une ascension sociale se payant au prix d’une forme d’esclavagisme, une inféodation au grand capital pour produire toujours plus de valeur. C’est exactement ça : Félix Fox doit commencer par prendre en traître son supérieur hiérarchique, sous peine de voir sa propre valeur chuter. Puis, il doit se résoudre à appliquer un plan de licenciement en virant une partie de ses anciens collègues de travail et amis. Enfin, dans un passage particulièrement écœurant, ses actionnaires lui font observer que ce n'est pas le moment pour sa compagne soit enceinte, et qu’il faut soit retarder le bébé (avorter en clair), soit qu’il la répudie pour ne pas être tenu de quoi que ce soit envers elle. Autant dire qu’il réagit très mal à l’énoncé de cette alternative.



De la même manière, le lecteur découvre exactement ce à quoi il s’attend en termes de narration visuelle : des dessins fonctionnels, avec peu de personnalité. Des dessins propres sur eux, même si les traits de contours sont parfois un peu secs et cassants. Un mode descriptif bien sage, même si les cases sont souvent bien remplies, bien plus que ne le requiert le minimum syndical. Des personnages assez lisses, mais bien différenciés et reconnaissables au premier coup d’œil. Des lieux assez familiers, entre buildings de bureaux et banlieues proprettes, mais le lecteur peut bien voir les différents niveaux de standings, entre l’open-space pour caser un maximum d’employés à moindre coût, et un bureau de belle taille avec un mobilier de luxe, et de même de petits pavillons bon marché alignés en rang d’oignon et un véritable manoir. Très vite lui revient à l’esprit qu’il avait eu la même réaction en découvrant les pages du premier tome, et la même deuxième réaction : les dessins racontent beaucoup de choses.


En réalité, le lecteur retient son souffle dès la première case qui occupe les deux tiers de la première page : une vue du ciel du quartier d’affaires de la cité, magnifique, transcrivant bien l’ampleur de son étendue, la densité des constructions, avec un ciel du plus bel effet. Alors qu’il part avec l’impression de dessins très fonctionnels, il prend régulièrement le temps d’admirer un environnement ou une situation. Dans la première se trouvent les allées avec les rayonnages plein à craquer dans le supermarché de jouets, le bazar sur la table de la cuisine pour la fête d’anniversaire, les toilettes très spacieuses de la maison de Félix, l’arrivée devant le complexe de luxe de relaxation où Simon emmène Félix, son hall d’entrée monumental baignant dans une lumière ombragée, la salle de bains du manoir de Rachel & Félix d’un luxe indécent, la vue plongeante sur la façade d’un gratte-ciel et son ascenseur en extérieur, le hall d’exposition des différents modèles de voiture Zelig, etc. Dans la deuxième catégorie, le lecteur n’en revient pas de voir Gustave Leblanc se jeter sur Félix Fox en grimpant sur la table de la salle de réunion, la réaction de dégout d’Angela Hoffman voyant Félix Fox signifier leur licenciement à un ex-collègue après l’autre, Simon Sax faire miroiter un avenir doré à un point que Félix Fox ne peut pas se l’imaginer, les employés de HSE en train de paniquer ne sachant que sauver ou emporter à l’annonce de la chute des capitaux vers d’autres valeurs refuges, Félix Fox s’emporter violemment contre ses actionnaires ou se tordre la cheville sur son tapis de course, Rachel comprendre progressivement que son compagnon conçoit de plus en plus chaque aspect de sa vie comme s’intégrant dans un plan de carrière qui prime sur chaque instant de sa vie.



Retrouvant confiance grâce à la narration visuelle, le lecteur se reconcentre sur l’intrigue. La logique du capitalisme s’applique de manière implacable et inéluctable à Félix Fox, devenu un centre de profit. Sa cotation en bourse a rendu mesurable son potentiel économique : ses actionnaires exigent d’en avoir pour leur argent, que leur investissement ne soit pas juste rentable, mais qu’il produise le maximum d’argent possible, que son potentiel soit exploité à son maximum. L’objectif est de presser le citron jusqu’à la dernière goutte, peu importe ce qu’il en advient après. De ce point de vue, le récit est entièrement à charge contre l’emballement du capitalisme sans encadrement. Le scénariste sait le mettre en scène sans avoir à en exposer le principe, uniquement au travers des contraintes qui pèsent sur son protagoniste et qui lui donnent sa conduite à tenir aussi bien professionnellement que dans sa vie privée : tout doit être au service de sa productivité, de sa rentabilité, de la progression de son chiffre d’affaires. L’intrigue comprend plusieurs moments savoureux comme la stratégie de Félix Fox pour faire baisser la valeur de l’action de Gustave Leblanc, ou ses manipulations pour donner un coup de fouet à la valeur de sa propre action. Cependant, la route reste bien tracée, pour un voyage un peu prévisible. Puis il revient en tête du lecteur le regard de Simon Sax quand il observe la prise de bec entre Rachel et Félix en page 11. Ce moment se rappelle à son bon souvenir quand Félix pose une question évidente à ce même directeur général de HSE. Il se met alors à supputer quant à ce que Simon Sax peut tramer dans le dos de son employé si prometteur. L’intrigue recèle plus que ce qui est visible en surface.


Un deuxième tome un peu moins surprenant et un peu moins prenant que le premier ? C’est en tout cas l’impression du lecteur : une narration visuelle sans éclat, et un scénario à la direction prévisible dans les grandes lignes. Sauf que la narration visuelle s’avère bien plus riche que de simples dessins fonctionnels. Il faut un peu plus de temps pour additionner quelques remarques et cases bien innocentes prises une par une, mais inquiétantes prises dans leur ensemble. Cela peut-il bien se finir ?



2 commentaires:

  1. "des dessins fonctionnels, avec peu de personnalité. Des dessins propres sur eux" - Ce type de dessin est susceptible de l'éloigner d'un ouvrage. Mais toutes les planches que tu proposes en extraits ne confirment pas cette réaction. Je trouve que la toute première est admirable, avec ces panneaux de lumière qui se reflètent sur le sol, alors que les autres me rappellent certains comics des années 80, et pas les meilleurs.

    "Un deuxième tome un peu moins surprenant et un peu moins prenant que le premier ?" - Je suis d'ailleurs un peu surpris que l'on puisse s'inscrire dans la durée avec un thème comme celui-là, qui me semble très radical. Je suis sceptique, malgré les qualités que tu soulignes.

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    1. Ma réaction sur le dessins : j'avais l'impression de regarder des planches des albums Largo Winch, sans la volonté d'élégance du trait de Philippe Franck. Dans le même temps, les caractéristiques des contours de forme m'ont fortement évoqué les dessins de Piotr Kowalski, le dessinateur de la série Sex de Joe Casey, sans en avoir le même degré d'implication.

      https://www.brucetringale.com/cest-encore-meilleur-la-deuxieme-fois-2/

      Faire plusieurs tomes : il y a un fil directeur tout naturel qui est le déroulement de la vie du personnage principal. Celui-ci évolue en tant que produit pour HSE, découvrant ce en quoi ça consiste.

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