mercredi 16 novembre 2022

Falkland: La Guerre des Malouines

Un chien on le dresse avec le bâton, pas avec des caresses.


Ce tome est le dix-huitième de la série Les grandes batailles navales, écrite par Jean-Yves Delitte qui en a également dessiné huit. Chaque tome est indépendant de tous les autres. La première édition date de 2022. Ce tome comporte quarante-six pages, dessinés par Mario Bianchini assisté de Francesco Mercoldi, et mises en couleurs par Douchka Delitte. Il comprend un dossier historique de sept pages, illustré par des photographies d’époque, rédigé par Jean-Yves Delitte. Les autres albums de la série sont consacrés soit à une bataille, soit à un navire : Jutland, Trafalgar, Chesapeake, Lépante, Tsushima, Stamford Bridge, Hampton Roads, Midway, Texel, Salamine, No Ryang, Le Bismarck, Actium, La Hougue, Gondelour, Gravelines, Leyte. Il commence par une préface d’une demi-page en petits caractères, rédigée par Denis-Michel Boëll, conservateur général du patrimoine, sur les enjeux des batailles navales, et le principe de les raconter par le prisme de personnages embarqués dans ces aventures, sur la base d’une enquête documentaire rigoureuse.


L’archipel des Falkland perdu dans l’Atlantique sud rentre dans l’Histoire avec les grandes découvertes de la fin du XVIe siècle. Anglais, Espagnols, Français, Argentins, vont alternativement exprimer des prétentions territoriales sur ces quelques kilomètres carrés de terres arides, balayés par des vents glacials. En 1981, une nouvelle junte militaire accède au pouvoir en Argentine, avec à sa tête le général Leopoldo Galtieri, proche du tristement célèbre Jorge Rafael Videla. Le pays est alors confronté à une situation financière catastrophique où l’inflation explose. Pour les généraux argentins, il faut trouver une parade au risque de voir le mécontentement se généraliser et tourner au pugilat public, pour ne pas dire à l’insurrection. C’est alors que l’archipel revient à la mémoire de la junte argentine. Les quelques kilomètres carrés de terre, peuplés de 700.000 moutons et d’un millier d’âmes selon les imaginaires, deviennent subitement une cause nationale. Le premier avril 1982, l’Argentine, pays refuge pour les nazis et dictature militaire sans honneur, avait envahi des terres anglaises perdues dans le Pacifique sud. Le 2 mai 1982, le sous-marin anglais HMS Conqueror répondait à l’acte insensé des Argentins en coulant le croiseur Ara General Belgrano. La guerre que d’aucuns tentaient encore d’éviter était devenue une réalité.



La flottille anglaise file paisiblement vers les Falkland. À bord du HMS Sheffield, dans l’antre du navire, l’officier radar écoute avec nonchalance de la musique à la radio, tandis que l’officier de surveillance aérienne tout comme son suppléant ont quitté leur poste. Cerise sur le gâteau, les défenses rapprochées ne sont pas approvisionnées en munition et n’ont aucun serveur. La suite est dès lors un enchaînement implacable. Deux pilotes argentins se rapprochent à basse altitude. Puis, suivant une procédure parfaitement maîtrisée, ils reprennent de l’altitude, allument leur radar d’approche, arment leurs missiles – Exocet de type AM39 air-mer – avant de presser la détente de tir et de virer pour rejoindre leur base.


Le titre de la collection est explicite et fait office de promesse : raconter une grande bataille navale. En fonction de son inclination et de sa connaissance préalable de ce conflit, le lecteur peut choisir de commencer par la bande dessinée elle-même, et voir s’il lui reste assez de curiosité pour lire le dossier en fin de tome, ou s’il préfère l’inverse pour avoir un aperçu du conflit et des détails techniques avant. Quoi qu’il en soit, son horizon d’attente comprend le fait que cette bande dessinée se présente comme une œuvre d’Histoire. La couverture peut l’étonner car elle met au premier plan un avion, mais le dossier explicite le fait que les batailles navales impliquent l’aviation qui y joue un rôle prépondérant depuis le vingtième siècle. La couverture a été réalisée par Delitte et elle s’étend sur la première et la quatrième de couverture mettant en valeur le vol de ces chasseurs, avec l’océan en arrière-plan et une petite portion de terre derrière les nuages. Le lecteur découvre ensuite les dessins de Francesco Mercoldi : ils s’inscrivent bien sûr dans un registre réaliste et descriptif pour réaliser une reconstitution historique fidèle et précise. Bien évidemment le lecteur guette de grandes cases mettant en valeur les navires et les avions de chasse. Ça commence avec une case de la largeur de la page montrant des torpilles filant silencieusement sous l’eau. Ça continue avec le vaisseau HMS Sheffield fendant les flots. Page neuf, le lecteur découvre une partie de la flottille britannique dans une case occupant les deux tiers de la planche. Planche onze, un avion décolle depuis le pont d’un porte-avions. Page suivante, deux avions argentins volent juste au-dessus des flots. Par la suite, le lecteur peut admirer un combat aéronaval pages vingt et vingt-et-un, puis un combat aérien, avec des tirs de canons terrestres, un vol d’hélicoptères, l’avancée d’une colonne chars.



De manière inattendue, l’artiste ne cherche pas à magnifier la puissance de feu des avions, des navires, ou des véhicules militaires, ni même leur capacité de destruction. À les voir évoluer, le lecteur se retrouve surtout impressionné par leur allure qui atteste de la réussite technologique qu’ils constituent. Ce n’est pas une forme de majesté qui impose le respect, c’est l’évidence de voir évoluer des engins fiables et robustes, capables de tenir leur place sur un océan agité, ou de fendre les airs en toute sécurité pour les êtres humains à l’abri à l’intérieur. Le dessinateur s’inspire bien sûr d’images militaires, mais sans exagérer les angles de prises de vue ou les prouesses d’évolution. De même, la coloriste reste dans un registre naturaliste, et même volontairement terne. Ce ne sont pas des engins rutilants pour en mettre plein la vue comme à la parade, mais des outils robustes à l’efficacité éprouvée. Il en va de même pour la représentation des militaires : pas de rodomontades, de lunettes de soleil avec reflet esthétique, ou de muscles gonflés et huilés, ni même d’hommes avançant contre les éléments dans des tenues déchirées. Il s’agit d’individus bien différenciés, et pas d’une masse d’hommes interchangeables, certains avec un uniforme argentin, d’autres avec un uniforme britannique : ils ont tous un visage unique et une morphologie avec quelques détails même si ces derniers sont peu nombreux car gommés par les uniformes. Pour autant le lecteur reconnaît au premier coup d’œil Augustin Tosco Valdès, soldat argentin.


Le lecteur prend vite conscience qu’il évolue dans un monde d’hommes, sans aucune femme. Il voit également que les auteurs respectent la ligne éditoriale de cette collection : raconter la guerre à hauteur d’homme. Il voit donc des soldats britanniques comme argentins, quelques officiers, un conseiller militaire ex-nazi. Ces personnages discutent, commentent la situation, donnent parfois leur avis en prenant du recul. Il n’y a que Augustin Tosco Valdès dont l’histoire personnelle soit un peu développée. D’un côté, ces êtres humains font exister ce conflit, lui donnent un peu de chair ; d’un autre côté, sans être interchangeable, ils ne deviennent pas familiers au lecteur. D’un côté, les auteurs atteignent l’objectif de montrer que la guerre est faite par des êtres de chair et de sang, sans jugement de valeur autre qu’il s’agit de bons professionnels qui ne sont ni sanguinaires ni des extrémistes patriotiques. De l’autre côté, ils n’ont pas de point de vue sur leur métier, ou sur le conflit. Il n’y a qu’Augustin qui évoque l’injustice de la junte argentine et ses exactions, et qui manifeste son opposition à la présence d’ex-nazis en tant que conseillers de l’armée. Il en découle un patriotisme très ténu et générique qui n’a rien de militant : la condamnation d’un régime dictatorial par rapport à une démocratie, mais sans entrer dans le détail.



En termes de narration de la guerre, le lecteur apprécie donc la qualité de la reconstitution historique visuelle, le soin apporté aux éléments militaires, les prises de vue des batailles. Il se rend compte que le scénariste fait l’effort de faire respirer son récit, avec quelques pages comportant des informations, contrebalancées par d’autres focalisées sur l’action, et même huit pages dépourvues de phylactères et de cartouches de texte, sans aucun mot. La contrepartie de ce mode narratif implique une place limitée pour intégrer les informations historiques. De fait, l’auteur ne place pas de date pour chaque séquence, ce qui est assez surprenant pour une reconstitution historique. Le choix de raconter la guerre à hauteur d’homme induit également que le lecteur n’assiste pas aux réunions d’état-major, aux prises de décision stratégiques, ou encore aux répercussions médiatiques des affrontements, que ce soit du côté argentin, du côté britannique, ou à l’échelle de l’opinion mondiale. De ce point de vue, s’il n’est pas familier avec les différentes phases de ce conflit, il a tout intérêt à commencer par la lecture du dossier en fin d’ouvrage, pour pouvoir mieux saisir l’ampleur de certaines ellipses.


Cette reconstitution de la guerre des Malouines se montre intéressante par ses représentations visuelles, et par son approche très professionnelle de l’armée. Elle peut s’avérer un peu frustrante par le manque d’épaisseur des hommes en uniforme dont les propos sont exempts de tout point de vue, ou par la faible teneur en exposé de faits historiques, en analyse stratégique ou géopolitique.



2 commentaires:

  1. "Ce tome est le dix-huitième de la série Les grandes batailles navales" - Ça me surprend de voir ça sur ton blog. Qu'est-ce qui a motivé ce choix de lecture ?

    Je me souviens de quelques journaux télévisés qui parlaient du conflit ; à l'époque, j'étais gamin. Je me souviens notamment du fameux chasseur Harrier à décollage vertical.
    Plus tard, j'ai lu que Pierre Clostermann, l'as des as de la France libre en 1939-1945, avait été vertement tancé par d'anciens de la RAF, car - en tant qu'ex-instructeur de l'armée de l'air argentine - il avait publiquement prodigué des encouragements à ses anciens élèves.

    "Elle peut s’avérer un peu frustrante par le manque d’épaisseur des hommes en uniforme dont les propos sont exempts de tout point de vue, ou par la faible teneur en exposé de faits historiques, en analyse stratégique ou géopolitique." - Certes, mais la collection se veut avant tout pédagogique, non ?

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    1. Ce choix de lecture : je gardais un très bon souvenir de la série Les coulisses du pouvoir, avec Philippe Richelle, et cette série Les grandes batailles navales m'intriguait. Je ne me souvenais que de vagues images des navires britanniques, vues au journal télévisé de la guerre des Malouines. C'était donc une bonne occasion d'en apprendre plus sur ce conflit.

      Une collection pédagogique : ces dernières années, j'ai été biberonné aux récits de guerre écrits par Garth Ennis, qui disposent effectivement d'une pagination beaucoup plus importante. Mais même dans les premiers récits de la série War Stories (2001 & 2003) avec une pagination de type franco-belge, le point de vue des soldats était plus développé.

      https://en.wikipedia.org/wiki/War_Stories_(comics)

      Sur le plan historique, ce tome est loin derrière ceux de la série des Reines de Sang de France Richemond consacrés à Jeanne la mâle reine. c'est ce qui m'a conduit à écrire que la teneur en faits historiques m'a laissé sur ma faim.

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