mardi 30 août 2022

Capricorne, tome 12

Sans parole


Ce tome fait suite à Capricorne, tome 11 : Patrick (2006) qu'il faut avoir lu avant. Il est recommandé d'avoir commencé par le premier tome pour comprendre toutes les péripéties. Sa première parution date de 2007 et il compte 54 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario et les dessins, et par Isabelle Cochet pour les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 3 qui regroupe les tomes 10 à 14, c’est-à-dire le troisième cycle.


Dans des vêtements adaptés au grand froid, Capricorne a marché sur un tapis de neige vierge, et il s’est arrêté pour contempler la faille qui se trouve devant lui. Quelques petits morceaux se détachent doucement de la paroi pour tomber dans le vide. Il décide de continuer à marcher en longeant le précipice. Il lève la tête et voit quelques petits morceaux de neige tomber de la pente. Il avance tranquillement, sans se rendre compte qu’il est observé par un homme dans un grand manteau avec un couvre-chef dont les deux rubans flottent au vent. Celui-ci n’a pas conscience qu’il est également observé à la jumelle par un individu en parka. Capricorne observe le ciel, puis l’étendue devant lui. Il y a un passage difficile à négocier, avec des crevasses à franchir, et la nuit vient bientôt tomber. Il décide de s’arrêter là et de passer la nuit à l’abri dans une anfractuosité. Il se réveille un fois le soleil levé, et il commence par sauter sur la plateforme un peu plus basse, puis sur une autre, et il parvient ainsi à franchir la crevasse. Il a ainsi rejoint les traces de pas dans la neige qu’il avait repérées. Il marche en les suivant. Il découvre l’empreinte d’un corps humain qui est tombé dans la neige.



Capricorne continue d’avancer en suivant les traces de pas. Il dépasse une autre empreinte de corps humain et enfin découvre l’individu en question inconscient dans la neige, allongé sur le ventre, une bouteille vide à côté. Capricorne entend un bruit, il se retourne d’un mouvement vif. Une quinzaine de personnes habillées de la même manière que celui étendu, se trouvent derrière lui. L’un d’eux s’avance et lui intime le silence, car des fragments de neige continuent de tomber. Capricorne place son doigt devant sa bouche pour indiquer qu’il a compris. L’homme pointe ensuite l’individu à terre ; Capricorne répond en pointant du doigt la bouteille comme étant la cause de la chute de l’homme. Par geste, le chef l’accuse d’avoir donné la bouteille : de la même manière l’accusé montre son sac du doigt pour indiquer qu’il n’en est rien. Le chef prend la bouteille et ordonne, toujours par geste, à ses hommes de prendre celui inconscient et de l’emmener. Au loin, l’individu avec les jumelles a tout observé. Le petit groupe arrive au campement, et tout le monde regarde l’étranger avec curiosité. Les enfants ne tardent pas à vaincre leur timidité pour s’approcher, et examiner ce que contient son sac. Deux adultes proposent de partager un verre. Capricorne se rend compte que cette boisson devait être alcoolisée. Il reçoit un avion jouet dans la figure.


Dans le tome précédent, l’auteur s’était fixé comme défi de raconter son histoire quasi exclusivement avec des cases de la largeur de la page. Il ne faut pas longtemps au lecteur pour comprendre la nature du défi de ce tome : raconter une histoire sans utiliser un seul mot, aucun dialogue, aucun cartouche de texte. De fait il est un peu pris au dépourvu par cette couverture vierge : aucun dessin, et en y repensant pas de titre non plus. Ce blanc correspond au blanc de la neige, et également à l’absence, en particulier l’absence de texte. Ensuite, il se rend compte que le narrateur a réalisé un album d’une pagination plus importante que d’habitude : 54 planches, au lieu de 46 d’habitude. Cela se comprend aisément : l’absence de mot engendre un besoin de plus de pages pour pouvoir raconter une histoire aussi consistante, d’autant que le dessinateur n’abandonne pas pour autant ses compositions de planches sophistiquées. Tout commence avec un dessin en pleine page rendant compte de la neige vierge, mais aussi de la paroi de glace qui s’effrite par endroit. Le lecteur remarque la savante composition des planches 2 & 3, avec la silhouette de Capricorne qui marche selon une diagonale de bas en haut à gauche, ce qui donne l’impression qu’il arrive en haut de la page de droite. Planches 6 & 7, elles se composent chacune de trois bandes, avec plusieurs cases pour celle du haut et pour celle du bas, et une case de la largeur de la page pour la médiane, créant ainsi une continuité de la page de gauche à celle de droite. Planche 12 & 13, c’est un groupe de quatre marcheurs qui se dirige vers la droite en page de gauche, qui semble aller à la rencontre d’eux-mêmes revenant de leur destination et se dirigeant vers la gauche sur la page de droite.



Le lecteur assiste à deux duels au bâton de la page 20 à la page 27, dans une suite de mouvements, de coups portés, de parades, facile à suivre, cohérente sur le positionnement respectif des combattants, avec un enchaînement de coups portés logique. Planche 30, il remarque une structure de page avec uniquement des cases de la hauteur de la page, et planche 37, uniquement des cases de la largeur de la page. À chaque fois, il ne s’agit pas pour l’artiste d’épater la galerie, mais de concevoir la meilleure structure de planche pour raconter la scène. Le lecteur ressent bien que ça lecture est plus rapide que dans une bande dessinée traditionnelle avec des phylactères, toutefois les pages ne se tournent pas à toute allure pour une lecture de dix minutes. Il ne s’agit pas d’un vain exercice de style, avec une intrigue prétexte. Andreas raconte une histoire conséquente avec la progression de Capricorne, son accueil dans une communauté, la découverte d’une étrange capsule dans la neige, les duels et le départ de Capricorne, auxquels il faut encore ajouter la menace de la deuxième silhouette du début du récit. La narration visuelle s’avère claire, immédiatement compréhensible, d’une bonne densité d’informations ce qui induit un rythme de lecture posé, et non un tournage de pages frénétique.


Troisième étape sur le chemin du retour pour Capricorne. Il a quitté la campagne bucolique du tome 10, et le cottage confortable du tome 11. Il est accueilli dans une nouvelle communauté qui vit dans cet environnement montagneux recouvert de neige. Le lecteur n’en apprend pas beaucoup sur elle, si ce n’est qu’elle accueille les étrangers, et qu’elle a ritualisé les duels au bâton. Capricorne est l’étranger dans cette communauté, accepté sans hostilité, partageant un verre d’alcool, suscitant la curiosité des enfants, accompagnant l’un ou l’autre pour constater le risque lié à l’effritement de la glace, la présence de l’étrange capsule, participant à un duel, et revenant pour faire cesser une situation de danger. Le lecteur retrouve trois éléments lui rappelant les deux premiers cycles de la série : le visage de Mordor Gott s’affichant dans le ciel comme une vision, Capricorne à nouveau victime d’un malaise inexpliqué, en planche 36, comme il l’a été dans les deux tomes précédents. Le troisième correspond à cette capsule qui rappelle les fuyards du Concept. Puis il y a cet artefact en forme d’étoile qui est convoité par le deuxième poursuivant. Le lecteur se doute que ce nouvel élément aura une incidence significative dans les suites des aventures du héros. En attendant…



En attendant, il s’agit d’une nouvelle histoire complète en un tome dont la narration visuelle est captivante. Un étranger établit un contact avec une communauté s’interdisant de recourir à la parole, et faisant le moins de bruit possible pour ne pas risquer de déclencher une avalanche catastrophique. Ses membres ne prononcent pas une parole, même leurs bâtons sont recouverts de tissu pour étouffer le bruit de leur utilisation. L’absence de mots n’empêche pas une forme basique de communication, d’échanges par le biais de gestes dont le sens semble être universel. Le lecteur observe : la force du nombre qui parle d’elle-même quand Capricorne se retourne et constate la présence d’une quinzaine de personnes derrière lui, Capricorne se justifiant dans le fait qu’il n’est pour rien dans la perte de conscience de l’homme allongé au sol, la curiosité des femmes, des hommes et des enfants voyant les leurs revenir avec un étranger, le soulagement du père voyant ses enfants sortir indemnes d’une avalanche, l’autorité du chef imposant le combat à Capricorne, l’entrain des enfants imitant les gestes de Capricorne, etc. Le lecteur comprend bien que Capricorne doit s’adapter à ces interactions muettes, que cette communauté a su s’adapter à son environnement en proscrivant la parole. Pour autant, le sens de cette étape dans le chemin du retour du héros vers New York n’apparaît de manière évidente, même s’il y a comme un rappel de l’aphonie de Capricorne survenue dans le tome précédent.


Un bien étrange album. Une réussite en termes de narration visuelle silencieuse : des pages inventives, immédiatement compréhensibles qui ne restent pas qu’au niveau de l’action. Une histoire linéaire avec plusieurs morceaux de bravoure. Des interactions avec une communauté silencieuse. Un questionnement sur la façon d’interagir et de communiquer sans l’usage du langage parlé, et en même temps un doute sur le sens à donner à cette étape dans le voyage de retour du héros.



7 commentaires:

  1. Etonnant non ? A chaque tome je me demandais aussi où il allait, ce qu'on allait découvrir. C'est vraiment une série qui m'a constamment étonné et brinquebalé comme un chiffon. Tu as raison : elle ne se lit pas si vite que ça, cela demande un effort de bien situer tous les personnages et toutes les situations.

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    1. Arrivé à la fin de ce tome, je ne sais que penser de ce cycle. Je comprends le projet de raconter le voyage de retour de Capricorne, peut-être l'envie de réaliser des récits aux enjeux de moins grande ampleur. En revanche, je n'ai pas saisi l'intention de chacune de ces étapes, ce qu'elles apportent au héros, en quoi chaque étape le fait changer ou fait évoluer son regard sur ce qu'il a vécu, lui permet de l'envisager différemment.

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    2. Même si comme toi je ne suis pas certain de l'apport de ces étapes pour Capricorne, je sais que j'ai pris encore plus de plaisir à lire ces tomes à la suite : la bouteille vide du début a été dérobée à Capricorne, c'était celle que Patrick lui avait donnée à la fin du tome précédent. Et désormais je comprends mieux la raison du tome suivant : Capricorne s'endort devant une fenêtre composée de cinq fois quatre carreaux de verre.

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    3. Il me semble que je n'avais pas identifié le lien que constitue la bouteille : merci pour cette observation pénétrante.

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  2. Déjà le tome 12. Tu avances à un sacré rythme.

    "Capricorne a marché sur un tapis de neige vierge, et il s’est arrêté pour contempler la faille qui se trouve devant lui." - Va savoir pourquoi (sans doute la mise en page et les couleurs), mais ça me fait penser à la forteresse de Solitude. Évidemment, cela n'a rien à voir.

    "Ce blanc correspond au blanc de la neige, et également à l’absence, en particulier l’absence de texte." - Bien vu ; je ne sais pas si j'aurais fait le rapprochement.

    "Il a quitté la campagne bucolique" - Effectivement, la campagne, les étendues glaciaires, les villes... Une belle diversité de paysages et de cadres.

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    1. Si je devais rapprocher la sensation générée chez moi par la première page, j'aurais plus pensé à Tintin au Tibet, perdu dans une immensité blanche montagneuse.

      L'interprétation du blanc : cela m'est venu de deux lectures précédentes. La première était un commentaire d'un tableau de Richard Corben (l'illustration en ouverture de l'article avec le lien ci-dessous) intitulé Under the oak. Le ciel est étrangement blanc et vide. Le commentateur expliquait qu'il s'agissait d'une manière de figurer le néant de la mort à venir. Autre source d'inspiration : la tradition du blanc comme couleur du deuil pour les Japonais.

      Une belle diversité de paysages et de cadres : après coup, je me rends que je reste incapable de comprendre l'intention d'Andreas en ayant choisi ces étapes dans le retour du héros vers New York, et donc vers l'intrigue principale. Je ne saurais dire ce que lui apporte chaque séjour intermédiaire et en quoi ils lui sont nécessaire pour la suite, en quoi ils lui apportent une expérience de vie lui permettant de grandir, sinon d'évoluer.

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    2. Oups ! Le lien que j'ai oublié pour Under the oak :

      https://downthetubes.net/in-memoriam-comic-creators-pay-tribute-to-richard-corben/

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