Et être amoureux, c'est quoi au juste ?
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Sa première publication date de 2019 en Argentine et de 2021 en France. Cette bande dessinée est l'œuvre de Sole Otero, autrice complète. Elle est en couleurs et compte 172 pages.
Dans l'espace à une distance raisonnable de la Terre, Coco, une extraterrestre, a pour mission d'assurer la sécurité du périmètre et à protéger le vaisseau-pouponnière d'éventuelles représailles des mâles de l'espèce ou de tout autre menace. Elle fait partie d'un groupe de femelles qui s'est enfui de Club, leur planète d'origine, pour éviter la mort reproductive. En effet, leur corps est biologiquement programmé pour donner la vie et mourir lors de l'accouchement. Mais un jour, un groupe clandestin de femelles a décidé de fuir la planète. Grâce à l'invention d'une machine à hypnotiser appliquée sur le cerveau des mâles, la fuite a pu se faire sans recourir à la force. Les femelles sont parvenues à s'échapper de la planète à bord d'un vaisseau-pouponnière, dans lequel 100% des femelles ont pris place. Les mâles de l'espèce ne sont pas restés les bras croisés, et ils les traquent depuis lors jusqu'aux confins de l'univers. Entre-temps, les rebelles ont conduit le vaisseau pouponnière jusqu'au secteur 4:3:26:32:12:16 de la galaxie, où elles ont choisi de s'arrêter. C'est là, à l'abri des mâles, que les meilleures scientifiques s'affairent à modifier génétiquement les mécanismes de reproduction de l'espèce. L'objectif est d'obtenir une reproduction efficace et dépourvue de risques pour la femelle.
Malgré l'équipement très complet du vaisseau, Coco s'ennuie. Elle demande à Kiki, l'intelligence artificielle du vaisseau, quelles sont les possibilités de copulation offertes par ce secteur stellaire. Celle-ci lui propose plusieurs espèces différentes jusqu'à ce que Coco retienne un jeune humain mâle, d'une vingtaine d'années. Kiki le téléporte dans le vaisseau, et ils s'adonnent à une longue partie de jambes en l'air, enchaînant plusieurs positions avec prévenance et envie. Alors qu'ils sont tous les deux détendus, en train de se reposer allongés, l'homme se livre à des marques d'affection en se collant contre le corps de sa partenaire et en lui embrassant tendrement la joue. Coco demande à son IA ce qui se passe. Elle plonge l'homme dans l'inconscience et lui explique que les êtres humains sont des êtres intelligents, mais ils sont 67% moins développés que la race de Coco. Ils conservent encore ce qu'ils appellent des sentiments. À la demande de Coco, Kiki renvoie l'humain sur sa planète. À la réflexion Coco trouve que ça a été bizarre, mais elle croit que cela ne la dégoute pas. Elle demande à Kiki d'accéder aux données de l'humain, puis s'il est possible de l'enlever à nouveau.
Voilà une bande dessinée qui sort de l'ordinaire. Pour commencer, il y a une femme nue sur la couverture, mais c'est une extraterrestre et ses deux triplets de seins n'ont rien d'érotique. Ensuite, elle a l'ampleur d'un véritable roman s'inscrivant dans le genre de la science-fiction, mais parlant essentiellement d'amour même si la protagoniste recherche d'abord des relations sexuelles satisfaisantes, mais avec un unique partenaire. Enfin, elle présente la particularité de raconter cette recherche du plaisir sexuel sous l'angle féminin écrit par une femme. L'autrice ne néglige aucune de ces facettes de son récit. En termes de science-fiction, elle commence par trois pages de présentation, six illustrations par page en 3 rangées de deux sur fond d'espace étoilé, des représentations simplifiées à destination de Coco pour lui rappeler l'historique de sa race extraterrestre et sa mission à bord du vaisseau spatial. Le lecteur découvre ensuite sa silhouette humanoïde, nue, avec une grosse tête et de très gros yeux, ce qui lui donne un air de naïveté enfantine, et qui la rend à la fois étrangère à la race humaine et très sympathique. Le lecteur découvre ensuite la forme du vaisseau spatial : une soucoupe volante, ses grandes pièces spacieuses et stériles, ses portes en forme de vulve, la salle de pilotage, les énormes écrans pour communiquer avec les autres extraterrestres, le faisceau téléporteur, le faisceau réarrangeant les molécules de son corps, les cheffes de sa sororité, le vaisseau-pouponnière. L'artiste représente tout avec une forte simplification des formes, et les habille avec une mise en couleurs essentiellement à l'aquarelle. C'est doux et agréable à voir, parfois un peu stérile, inventif et un peu amusant.
Coco a donc décidé de développer une relation monogame avec un homme humain, qui soit sexuellement satisfaisante, et même de qualité. Elle demande à l'intelligence artificielle (IA) du vaisseau comment s'y prendre, et y consacre le peu de patience dont elle dispose, se conduisant un peu comme une enfant pressée : créer une apparence humaine synthétique, et descendre sur Terre, étudier toute l'information pertinente utile (Coco y consacre moins d'une minute), s'installer dans un appartement à Buenos Aires meublé en fonction des résultats du rapport, en fonction du profil psychologique qui doit séduire l'humain cible, s'habiller en fonction des goûts de Pedro Marial, faire comprendre que Coco est disponible mais pas dans le besoin. Le récit prend une drôle de tournure : l'intelligence artificielle explique l'art de la séduction à Coco qui prend le nom de Laura. Elle a donc une apparence qui répond exactement aux goûts de l'humain qu'elle a choisi, et elle doit faire l'apprentissage des coutumes humaines. Après une page de transformation (page 26) assez bizarre dans ce qu'elle montre, une composition similaire à celle de la couverture, Coco s'installe dans son appartement découvre son corps, s'habille et se rend au café où Pedro Marial a ses habitudes. Le lecteur mesure mieux le talent de dessinatrice de Sole Otero. Les êtres humains sont également dessinés de manière simplifiée, mais pas caricaturale. Il peut donc observer Coco découvrir les différentes parties de son corps, puis la voir habillée. Il fait connaissance avec Pedro, puis les amis de Pedro, puis ses relations de travail. Sous une apparence tout public et simple, les dessins contiennent une bonne densité d'information, que ce soient les différentes tenues vestimentaires, ou les expressions de visages, les occupations auxquelles vaquent les uns et les autres. D'une certaine manière, ces représentations peuvent sembler un peu naïves, d'un autre côté, elles montrent bien des adultes avec un langage corporel et des expressions d'adultes.
Sur Terre, les environnements se font plus détaillés : l'aménagement de la chambre de l'appartement de Coco, sa décoration et son ameublement, le café où elle rencontre Pedro, le tableau du restaurant où elle mange avec lui, les différents lieux où ils sortent ensemble, le bar pour la soirée avec ses amis, le deuxième appartement de Coco, la librairie où se tient la séance de dédicaces, la boîte de nuit, etc. L'artiste reste dans le même mode de représentation : des traits fins et légers pour détourer, une mise en couleurs à l'aquarelle parfois rehaussée aux crayons de couleur pour apporter du relief et de la consistance aux surfaces ainsi détourées. Chaque page se lit rapidement et facilement, sans paraître creuse ou inconsistante pour autant. Quelle que soit la situation, la créatrice semble considérer ses personnages avec gentillesse et compréhension, donnant à voir leur état d'esprit par l'expression de leur visage et leur posture, générant ainsi une belle empathie chez le lecteur.
Avec sa profusion de seins dénudés, la couverture indique que le personnage en couverture est sexualisé, féminin, et le titre sous-entend des relations intenses. De fait le premier accouplement a lieu en pages 10 & 11 : Coco a conservé sa forme extraterrestre anthropoïde, parfaitement compatible avec l'homme nu que l'IA téléporte dans le vaisseau. Il y a un gros plan sur une fellation et un autre sur un cunnilingus, et les amants adoptent trois positions différentes. Ls dessins sont explicites et en même temps avec une charge érotique étrangement faible. L'acte sexuel suivant se déroule en page 29, alors que Laura / Coco fait l'expérience de la masturbation dans son corps de terrienne. Le suivant se déroule entre Laura & Pedro pendant 10 pages : les dessins restent dans un registre descriptif et simplifié, éloignés du photoréalisme. Le consentement et le plaisir se voient dans les gestes et les attentions. Il ne s'agit pas d'une performance sportive, mais de prendre plaisir pour l'une et l'autre, en étant attentif à son partenaire. Il ne s'agit pas de montrer les corps de la façon plus précise possible, mais plutôt les gestes et les émotions. Dans la suite de l'histoire, le lecteur assiste encore à six autres parties de jambes en l'air. La majeure partie de l'histoire se concentre donc plus sur les faits et gestes de Coco et ses stratégies, mais les relations sexuelles ne se limitent pas à un point de passage obligé, et on passe à autre chose. C'est une partie importante de la motivation première de Coco. Dans le même temps, la scénariste n'oublie pas l'intrigue plus globale du sort de cette race extraterrestre, en arrière-plan avec les réunions de Coco sur son vaisseau, au premier plan pour la fin du récit.
La lecture de cette histoire s'avère effectivement intense, que ce soit pour la vie de l'extraterrestre femelle Coco, sur le plan affectif et sur le plan sexuel, ou en termes de rythme de lecture. Sole Otero met en œuvre une narration graphique personnelle, mélange très réussi de description et d'imprécision privilégiant les sensations. L'amalgame de plusieurs genres (SF, comédie, apprentissage) bénéficie d'un dosage parfait, et explore des questions comme la nature d'une relation amoureuse, l'idée qu'un partenaire se fait de l'autre, l'intérêt personnel avant celui du groupe, avec quelques touches humoristiques bienvenues et amusantes.
J'ai aussi l'impression qu'il y a une forte composante féministe, dans cette œuvre ; dis-moi si je me trompe.
RépondreSupprimerC'est marrant, je ne peux m'empêcher d'établir un parallèle avec les autres séries que tu lis, c'est-à-dire "Péchés mignons" et "Le Petit Derrière de l'histoire" ; bien que l'on ne soit pas du tout dans le même registre graphique. Encore que... après tout, ce n'est pas du "chibi", mais tu cites la "grosse tête et de très gros yeux", et "l' air de naïveté enfantine, et qui la rend à la fois étrangère à la race humaine et très sympathique".
J'en viens à ne plus savoir ce qui relève du féminisme et ce qui relève d'un point de vue féminin. La frontière est floue et même fluctuante en fonction des décennies et des régions du monde. Ici, il s'agit d'une bande dessinée réalisée par une femme, avec un personnage principal féminin. Avec ma sensibilité, c'est un point de vue féminin, pas une BD pour défendre les femmes, ou pour accuser le patriarcat.
SupprimerMa façon de penser s'attache plus aux différences qu'aux ressemblances, du coup il m'a semblé que l'intention de Sole Otero est moins humoristique dans son dosage, que Péchés Mignons ou Le petit derrière de l'Histoire. Les dessins ne sont pas dans l'exagération comique, et j'ai pris l'apparence réelle de Coco (celle sur la couverture) comme une volonté de faire extraterrestre avant tout, avec un côté mignon pour les grands yeux, et un peu monstrueux pour la double triplette de seins.