samedi 23 mai 2020

Matsuo Bashô - Le maître du haïku

Un seul mot peut tout changer. Fascinant.

Ce tome contient une biographie du poète japonais Matsuo Bashō (1644-1694) en manga. L'histoire est initialement parue en 2012 au Japon, écrite et dessinée par la mangaka Naho Mizuki. Le manga en lui-même comporte 100 pages, dont 12 en couleurs, suivies par 88 en noir & blanc. L'ouvrage comporte également une introduction de 3 pages rédigée par Bernard Chevilliat sur la vie et l'œuvre de Matsuo Bashō, une présentation des 8 personnages principaux : Matsuo Bashō, Yoshitada Tōdō, Sanpû Sugiyama, Bokuseki Ôzawa, Yozaemon Matsuo, Sora Kawai, Kigin Kitamura, Sōin Nishiyama. À la suite des 100 pages de manga se trouve un dossier pour mieux comprendre, avec un texte de 4 pages présentant les différentes formes de poésie avec Matsuo Bashō, ainsi que les principaux poètes, un autre texte de 4 pages sur le grand voyage de Bashō, son œuvre, la culture populaire d'Edo, et 3 pages présentant 7 haïkus de Bashō, avec un bref commentaire explicatif pour chacun. Enfin, le lecteur trouve une carte du Japon matérialisant le voyage de la Sente étroite du Bout-du-Monde, et une biographie de 2 pages retraçant la vie de Matsuo Bashō en 17 dates.


Chapitre 1 : l'enfant d'Iga. Au début de l'été 1689, Matsuo Bashō est en route vers le temple Risshakuji, avec son disciple Sora Kawai qui peine un peu à la montée des marches vers ledit temple. Le poète marque une pause et observe la nature qui l'entoure dans cette montagne. Il note que ce paysage, cet air, tout semble disparaître comme aspiré par ces rochers. Il sort alors un papier et un pinceau et trace les caractères (les mores) pour noter ce qu'il vient de dire. Il reformule sa première version qu'il ne juge pas assez bien correspondre à ce qu'il ressent à la vue de ce paysage. Sora Kawai trouve les deux versions très bien. Bashō estime qu'il n'a pas encore réussi à trouver le mot juste pour exprimer parfaitement le caractère de ce paysage, de cet air. Finalement, il aboutit à : Quel paisible silence, il s'infiltre dans les rochers. Le chant des cigales. Le récit revient alors à l'enfance de Matsuo Bashō pour essayer de déterminer ce qui l'a amené à inventer cette nouvelle forme littéraire que l'on appelle Haïku, alors qu'elle n'existait pas à l'époque.



Matsuo Bashō es né en 1644 dans la province d'Iga, région correspondant au bassin d'Ueno situé dans l'ouest de l'actuelle préfecture de Mie. Enfant, il appréciait le spectacle de la montagne, les arbres, les libellules. Il s'appelait Kinsaku, puis son nom changea pour Jinshi-Chirô, en effet dans le Japon d'Edo l'individu changeait de nom au cours de sa vie. Son père se montrait sévère avec lui n'acceptant pas qu'il fasse ainsi l'école buissonnière. Il oblige son fils à suivre les cours de calligraphie et à participer aux entraînements d'arts martiaux. Bien que la famille des Matsuo fut une famille de paysans, elle avait pu occuper un rang lui permettant d'avoir un nom de branche ainsi que le droit de porter le sabre, grâce à la famille Tôdô du domaine de Tsu. L'enfant Matsuo Bashō ne comprend pas la volonté de son père, car il préfère passer sa vie à contempler les splendeurs de la campagne et de la montagne. Son père lui demande de lui parler de leur beauté. L'enfant est vite à cours de mots. C'est la raison pour laquelle le père veut qu'il étudie. En classe de calligraphie, le jeune Matsuo Bashō mesure à quel point un mot peut tout changer dans l'expression et la transmission de ce qu'il a éprouvé, ressenti.

Le manga commence donc par l'une des premières étapes dans le voyage qu'entama Matsuo Bashō en 1689, qui dura environ 156 jours et 2.300 kilomètres couverts pour la plupart à pied. L'autrice utilise cette séquence pour expliciter la démarche artistique du poète : exprimer la force d'un paysage, au travers d'un poème dans une forme courte et codifiée. Puis le récit prend une forme chronologique en revenant à l'enfance de Matsuo Bashō. Du coup, toute cette biographie devient une illustration d'un destin tout tracé dont l'aboutissement est la création de la forme du haïku, ainsi que son enjeu. Dans un premier temps, le lecteur trouve cette approche simpliste : une prophétie auto-réalisatrice dont l'issue est déjà connue, mais d'un autre côté, c'est bien le seul regard qu'un auteur contemporain peut jeter sur le passé. Ensuite, 100 pages de manga, c'est assez court. S'il a lu l'introduction de Bernard Chevilliat, le lecteur peut avoir l'impression qu'il ne fait que retrouver en images ce qui est dit en 3 pages de texte. Il peut aussi se dire que l'approche de cette biographie est finalement de se rapprocher de l'esprit d'un haïku en étant plus évocateur que longuement descriptif.



La narration visuelle de Naho Mizuki utilise de nombreuses conventions spécifiques des mangas de type Shōjo, c’est-à-dire plutôt à destination d'un lectorat féminins. Elle détoure les visages et les silhouettes avec un trait très fin et délicat. Elle a tendance à utiliser une approche romantique pour les visages, à exagérer certaines expressions de visage en simplifiant la représentation des bouches et des yeux, à ajouter des effets de lumière de type romantique, à se focaliser sur les personnages en ne dessinant les décors que lorsqu'ils sont évoqués par un personnage, à utiliser l'équivalent de trames mécanographiées (des trames de points plus ou moins denses, pour le ciel bleu, pour les feuilles de plante, etc.). Au fil des pages, c'est une évidence qu'il s'agit d'un vrai manga, et le lecteur en vient à s'interroger sur le choix de l'éditeur de l'avoir publié dans le sens occidental, plutôt que dans le sens japonais, de droite à gauche. S'il est curieux, il peut rechercher les cases où un personnage manipule un objet. Elles ne sont pas si nombreuses que ça, mais effectivement, ils sont majoritairement gauchers, du fait de l'inversion des pages. De même, les vêtements ne se ferment pas dans le bon sens. La narration visuelle est donc essentiellement focalisée sur les personnages : ils sont souriants pour la plupart, ce qui les rend immédiatement sympathiques. Ils se comportent correctement, et il n'y a pas de conflit à proprement parler. Même le coup porté par le père de Bashō pour le punir d'avoir fait l'école buissonnière est représenté de manière très édulcorée. Le lecteur en déduit que la mangaka a sciemment adopté un mode de dessin tout public. Cela ne l'empêche pas de s'investir pour respecter l'exactitude historique quand nécessaire : les vêtements d'époque, les constructions comme le temple dans la montagne, la maison de la famille Batsuo, la magnifique demeure des Tôdô, et bien sûr l'ermitage du bananier. Elle soigne également les paysages afin que le lecteur puisse ressentir ce qui inspire le poète : le paysage de montagne dans la région de Yamagata, le lieu-dit de Yoshino où s'était arrêté le moine Saigyô, la paysage de Matsuhima, l'impétuosité du fleuve Mogami.

Effectivement, cette biographie élude toutes les aspérités de la vie du poète Matsuo Bashō, mais sans verser dans l'hagiographie. C'est l'accomplissement d'un destin déjà connu par le lecteur, raconté en 5 courts chapitres : 1. L'enfant d'Iga, 2 Vers la voie du Haïkaï, 3. La vie à Edo, 4. L'ermitage du bananier, 5. La sente étroite du Bout-du-Monde. Il s'agit donc surtout d'un manga de vulgarisation accessible à tous les publics. Le lecteur adulte peut en ressortir un peu frustré, à la fois par la brièveté de la pagination, à la fois par la faible densité des éléments historiques. D'un autre côté, en prenant du recul, il constate qu'il a suivi Mastuo Bashō durant ces étapes de formation essentielles dans son parcours de vie qu'il l'a mené à devenir le maître du haïku. Naho Mizuki aligne ces moments essentiels, dans une narration fluide, pas surchargée, mais finalement assez dense en termes d'éléments présentés. Et puis l'ouvrage n'est pas terminé.



Étant un peu resté sur sa faim, le lecteur adulte jette un coup d'œil aux textes qui suivent le manga, regroupés sous le titre générique de Pour mieux comprendre. Le premier texte explique ce qu'est un haïku : son origine, l'histoire du renga, la composition d'un haïku, les kigos, les plus célèbres poètes japonais du XVIe et XVIIe siècle, les plus célèbres poètes de l'époque moderne. Avec ces explications, le lecteur comprend mieux certains passages du manga en particulier l'écriture de poèmes de type haïkaï en collectif évoluant en écriture solitaire de haïku, ainsi que sa forme très codifiée en tercet de dix-sept mores, au rythme harmonieux sur une structure 5-7-5. La page consacrée à La sente étroite du Bout-du-Monde, le grand voyage de Bashō, évoque la composition du recueil de haïkus à partir des notes de voyage de Bashō, ainsi que l'intention du voyage, et évoque rapidement Sora Kawai (1649-1710), le disciple de Bashō. Le texte suivant présente 5 ouvrages de Matsuo Bashō en un bref paragraphe chacun, puis la culture populaire d'Edo (Voyager à l'ère d'Edo, Les villes étapes, Le pèlerinage à Isé, Les cinq routes d'Edo, Le pèlerinage de Shikoku). Le texte suivant (en 3 pages) présente 7 des haïkus les plus célèbres du poète, extraits de La sente étroite du Bout-du-Monde. Il en est donné deux traductions différentes, avec un paragraphe d'explication. Ainsi placé vers la fin d'ouvrage, cette présentation permet au lecteur de mesurer toute la richesse culturelle de ces courts poèmes, inaccessibles au lecteur occidental sans un commentaire et une interprétation, même si leur lecture seule est envoûtante.

De prime abord, cet ouvrage est assez surprenant : un manga publié dans le sens occidental, sur un poète majeur du Japon, avec une narration visuelle tout public, et une biographie finalement succincte. Le manga emplit son office de passeur en présentant la figure historique de Matsuo Bashō, tout en paraissant une évocation trop rapide. Sous réserve de lire les autres éléments de l'ouvrage (les différents textes), cette frustration du lecteur disparaît car ils viennent complémenter le manga, et le tout forme un ouvrage de vulgarisation très accessible. Pour lire les haïkus de Matsuo Bashō, le lecteur peut ensuite se lancer dans L'intégrale des haïkus : Edition bilingue français-japonais, comportant des commentaires pour chaque haïku afin de pouvoir mieux en apprécier les différentes saveurs, grâce à des explications culturelles.


4 commentaires:

  1. Eh bien ! On a à peine le temps d'en parler que tu le commandes, le lis, et le chroniques !
    Je dois avouer que je ne m'attendais pas au type d'ouvrage tel que tu le décris, à savoir un manga d'une centaine de pages avec une biographie succincte.
    Je comprends que tu restes sur un sentiment positif, mais qu'il s'en est fallu de peu que cette lecture te frustres.

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  2. Les petites anecdotes : j'ai profité du déconfinement pour me rendre à la FNAC : il n'y avait quasiment personne (un vrai plaisir d'avoir une aussi grande librairie à sa disposition) et ils avaient cet ouvrage. Mon fils avait reçu pour Noël le livre dont j'ai mis la couverture en fin d'article et il avait essayé de m'y intéresser avec un succès très mitigé. Après lecture du manga, je me suis mis à lire, en français bien sûr, 2 ou 3 haïkus par soir. Je mesure bien tout le bagage culturel et historique japonais nécessaire pour pouvoir les apprécier, parce que même avec les notes en fin de tome ma compréhension en est très ténue.

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    1. Je ne savais pas que certains écrivains et poètes français s'étaient essayés à cette forme : Paul Claudel ou Paul Éluard, entre autres.

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  3. Merci pour ce complément car je n'en avais pas idée. J'irai jeter un coup d’œil parce que la définition du haïku japonais ne semble pas transposable à une autre langue, en particulier le jeu sur les sens multiples des kanjis en fonction du contexte.

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