mercredi 4 mars 2020

Le vrai sexe de la vraie vie T01

Dialogue & Consentement : le combo parfait

Ce tome est un recueil de 13 histoires courtes. Sa première édition date de 2016 et contient environ 200 pages de bande dessinée. Il a entièrement été réalisé par Cy (Cyrielle Evrard), scénarios, dessins, couleurs. Il commence par une courte introduction d'une page de Clémence (Clemity Jane) sur le nombre infini de sexualités, et il comprend 3 fiches Point Cul.


(1) Une femme et son mari sont dans un château pour une fête costumée libertine. Ils prennent du plaisir avec différents partenaires, indépendamment l'un de l'autre. La première fiche point cul parle des différents modes de protection et du dépistage. (2) Un mec et sa copine sont vautrés sur le canapé entre de regarder un film à caractère pornographique avec 3 acteurs dans une baignoire. Elle lui demande s'il a envie de faire un plan à trois : il acquiesce et suggère de proposer à un de ses copains. (3) Deux jeunes hommes mangent attablés dans un café, en devisant gaiement. En repartant, l'un prend la main de l'autre et ils rentrent chez le premier en s'amusant des réactions effarouchées devant leur couple homosexuel, avant de passer au lit. (4) Un couple est tranquillement en train de bronzer à la plage et ils décident d'aller se baigner. Elle prend son temps pour entrer dans l'eau froide et il finit par l'entraîner entièrement sous l'eau. Il propose de se faire pardonner. (5) Deux copines sont en train de papoter au bar, quand arrive un de leurs copains accompagné par Thomas, un collègue de travail qui est en fauteuil roulant. Au moment de se séparer, Marion indique à Thomas que ça lui a fait très plaisir de le rencontrer et il lui propose de prendre un dernier verre ensemble. Fiche point cul sur le sexe et le handicap.

(6) Une femme rentre chez elle et retrouve son mari en train de se masturber devant l'ordinateur. Elle lui propose qu'ils se masturbent ensemble. (7) Un groupe de cinq copains prend l'apéro sur le canapé chez l'un d'entre d'eux. Ils se racontent des histoires de partie de jambe en l'air qui ont raté, comme celle dont le partenaire s'est trompé entre le tube de lubrifiant et celui du gel hydroalcoolique. (8) Deux copines sont au camping mais la tente ne fournit par une intimité suffisante pour assurer la tranquillité de leurs ébats. Il leur tarde de passer à la prochaine étape de leurs vacances, dans un vrai hôtel. (9) Un mari regarde sa femme enceinte sous la douche et il leur vient des envies. (10) Une jeune femme repère une belle jeune femme à la terrasse d'un café. (11) Une jeune femme va s'acheter son premier sex-toy. (12) Des copines sortent en boîte et l'une d'elle repart au bras d'un jeune homme. (13) Une jeune femme vierge a son premier rapport sexuel avec un jeune homme.


L'autrice a commencé à se faire connaître lors de sa collaboration avec le site Mademoizelle.com, en réalisant des dessins sur son quotidien et des sujets d'actualité, puis en tenant la rubrique Les dessins de Cy(prine), sur la variété des sexualités. Ce tome est sa première bande dessinée, et le résumé des histoires parlent de lui-même : montrer la diversité des sexualités. Il s'agit d'un ouvrage qui mérite le qualificatif de pornographique car l'acte sexuel y est représenté de manière graphique : masturbation masculine et féminine jusqu'à la jouissance, pénétrations en gros plan, caresses, fellations, cunnilingus, des accouplements hétérosexuel et homosexuel, une demi-douzaine de positions différentes pour faire l'amour. Cy ne fait pas semblant et représente les organes génitaux, au repos, et en état d'excitation, pour les hommes et pour les femmes. Elle détoure les organes (et les autres éléments) à l'aide d'un trait fin, assez souple, cassant par quelques endroits. Elle ne recherche pas un effet photographique, mais plus une description légère sans hypocrisie. Cela fait de cette bande dessinée un ouvrage pour lecteurs avertis, pour adultes consentants.

Pour autant, il n'est pas possible de réduire ces histoires à la dimension pornographique, car l'autrice sait donner un soupçon de personnalité à chaque partenaire, ou plutôt faire ressortir leurs émotions. Il ne s'agit donc pas d'une fiction mettant en avant la performance, les positions acrobatiques ou les marathons. La première histoire semble pourtant partir dans cette direction : un couple libertin participe à une fête échangiste dans un château. La fin vient juste montrer qu'il s'agit d'êtres humains normaux avec une vie et des enfants à aller récupérer chez leur grand-mère. Les dessins sont sympathiques, un peu dépouillés (moins que ceux de Bastien Vivès), les positions sont classiques et tout le monde prend du bon temps et du plaisir. Vient ensuite la première fiche sur 2 pages : des explications basiques sur la protection et le dépistage, claires et pratiques, sans jugement de valeur autre que celui de la santé. La deuxième histoire reflète plus la tonalité des suivantes. Madame propose à son mec un plan à trois : un fantasme le plus souvent masculin, véhiculant des relents nauséabonds de domination, de performance, du corps de la femme ravalé à un état d'objet. Or dans cette histoire de 9 pages rien de tout ça. Tout part d'un consentement mutuel entre amoureux : l'envie d'essayer. Le troisième larron n'est pas un d'individu lubrique prêt à profiter d'une bonne aubaine, mais un jeune homme poli et prévenant. Les 3 individus sont dans le salon à papoter et se demandent comment commencer. Les dessins montrent la femme allongée sur le lit, les hommes se déshabillant, les caresses attentives, le désir qui monte et…



… et tout s'arrête parce que les participants ne s'y retrouvent pas. Le récit est à l'opposé de l'enchaînement de positions acrobatiques, d'une virilité dominante et d'une femme acrobate. Le lecteur peut voir des individus normaux, se comporter en respectant les autres, en recourant à la communication, avec une tendresse sous-jacente. Les pages ne se transforment pas en manuel technique ou en reportage sensationnaliste, mais montrent des gestes banals, évidents. Aucun des partenaires n'est ravalé à l'état d'objet, n'est utilisé par un autre, à l'opposé du chacun pour soi. La troisième histoire se déroule de manière tout aussi naturelle : les 2 amoureux se retrouve au lit et s'en suivent 10 pages de rapports sexuels, avec un rythme posé, quelques paroles échangées pour s'assurer que tout va bien, et une attention évidente au plaisir de l'autre. Il ne s'agit pas du fantasme d'une autrice imaginant un rapport homosexuel masculin : il s'agit juste de montrer un déroulement possible d'un rapport entre adultes consentants qui y prennent plaisir. Le lecteur s'y sent impliqué par l'enjeu pour les personnages, par l'aventure que cela constitue pour eux, par la façon dont ils s'y prennent.

L'enjeu du récit n'est pas de voir des plans rapprochés, mais de voir si leur projet va aboutir et comment ils vont le prendre sur le plan émotionnel. La tension érotique est bien présente, mais sans que le récit ne devienne juste un support d'excitation sexuel pour le plaisir solitaire de la lectrice ou du lecteur. Le lecteur éprouve exactement les mêmes sensations avec le récit suivant sur l'union d'une jeune femme et d'un jeune homme en fauteuil roulant. Il voit comment les partenaires s'assurent simplement de leur consentement mutuel, et de la manière de s'y prendre de la personne handicapée. À nouveau les dessins montrent les choses simplement et avec évidence, y compris dans les aspects pratiques.



Au bout de quelques histoires, le lecteur se rend compte qu'il n'éprouve pas de sensation de répétition : il s'agit à chaque fois de situations différentes vécues par des êtres humains différents, avec un déroulement différent du fait de leur personnalité. Il se rend également compte qu'il n'éprouve pas une forte sensation de voyeur à regarder d'autres personnes s'ébattre. Elle est un peu présente car il observe l'intimité d'individus pour lesquels il ressent une empathie réelle, mais sans se sentir de trop. Cy parvient à cet effet paradoxal par des histoires courtes qui comprennent une dimension sous-jacente de nature pédagogique. Il n'y a pas de jugement porté sur les pratiques, tout se passe bien même quand l'acte ne va pas jusqu'à son terme. Comme énoncé dans l'introduction, elle montre une pluralité de sexualité, sans critique, sans jeu psychologique malsain, sans perversité, sans exigence impérative, sans volonté de nuire, sans risque ou mise en danger. Les fiches sont explicatives, à nouveau sans jugement de valeur, ayant pour objectif d'informer le lecteur pour qu'il puisse être autonome. Le lecteur se rend compte qu'il sort de sa lecture avec le sourire, et il se rappelle effectivement que le visage des personnages exprime la gentillesse, la prévenance, le contentement naturel. En fait, s'il devait trouver un défaut à cet ouvrage, le lecteur se dirait que ce serait la facilité avec laquelle les gens se retrouvent au lit. Pour tous, la sexualité semble aller de soi, sans question, et trouver un partenaire est l'affaire d'une discussion ou d'un sourire échangé : il n'en faut pas plus. D'un autre côté, c'est cohérent avec l'intention de l'ouvrage qui est de montrer des exemples positifs et variés, ce qui est déjà incroyablement ambitieux.

Le titre de l'ouvrage n'a pas été choisi au hasard et annonce un programme ambitieux. Cy ne fait pas semblant et le lecteur accompagne, ou plutôt observe des partenaires aller au lit et faire des galipettes dans chacun des histoires. Il en ressort le sourire aux lèvres d'avoir ainsi profité d'exemples de recherche mutuelle d'un plaisir partagé, par des êtres humains normaux, sous réserve qu'il ne soit pas réfractaire à la représentation graphique des rapports sexuels, des organes et des pénétrations.


3 commentaires:

  1. C'est assez intrigant ; le contenu semble indéniablement réservé aux adultes, encore que je n'en aie pas la certitude (des adolescents ?), mais je trouve que l'extrait que tu as posté, par exemple ("Le Consentement"), infantilise le lecteur par une forme dans le langage dont je ne sais pas s'il faut la qualifier de condescendant ou d'excessivement naïf.
    Est-ce moi, avec un commentaire qui ne repose que sur l'observation des planches que tu as postées, ou as-tu eu toi aussi cette impression à la lecture ?

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  2. Oui, je suppose que le contenu s'adresse aux adultes, et pourquoi pas aux adolescents.

    J'ai eu l'occasion de comparer mes réactions à celles d'autres lecteurs (pas pour cette BD, pour d'autres) et il semblerait que je ne sois pas sensible à ce qui peut être interprété comme de la condescendance. Dans le cas présent, ma sensibilité m'y fait voir plutôt un effort de pédagogie et d'explication la plus explicite possible. J'ai choisi à dessein cette fiche Point Cul plutôt que les autres parce que le message est clair et explicite, et j'avais à l'esprit le nombre de viols en France (environ 15.000 par an). Du coup, j'y vois plus une volonté pédagogique que de la naïveté.

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  3. Merci de ces éclaircissements et ton interprétation.

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