mercredi 12 juin 2019

Une aventure de Dick Hérisson T01 L'ombre du torero

Et j'oserais même affirmer qu'il est mort de peur.

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre qui en compte 10. La première édition date de 1984, regroupant les pages prépubliées dans Charlie Mensuel, du numéro 21 au 26, en 1983/1984. Il a été réédité dans Dick Hérisson - édition intégrale volume 1 qui regroupe les 5 premiers tomes. Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage, avec une mise en couleurs réalisée par Sylvie Escudié.

En novembre 1929, en Camargue, 5 hommes sont penchés sur le cadavre d'un autre étendu par terre. En présence d'un autre inspecteur, d'un gendarme, et du détective Dick Hérisson, l'inspecteur Caragnoux demande au médecin légiste ce qu'il peut dire. Ce dernier lui indique que le décès remonte aux premières heures de la nuit, vers onze heures, minuit, et que l'homme a succombé à une crise cardiaque, voire qu'il est mort de peur. Le défunt est le docteur Batistin Billardot, bien connu à Arles. Dick Hérisson indique en réponse à une question de l'inspecteur qu'il a dû s'arrêter ici du fait de son réservoir vide. L'agenda du médecin révèle que son dernier client fut le Baron de Segonnaux, propriétaire de manades, d'actions dans le chemin de fer, et des usines de sel du Salins. Hérisson remarque des empreintes de taureau à proximité de la voiture du docteur. L'inspecteur Garagnoux se fait conduire en voiture par le gendarme, jusqu'à la demeure du Baron, accompagné par Hérisson. Ils y sont accueillis par le majordome Cyprien qui les mène jusqu'au propriétaire de la demeure. Ils lui apprennent le décès du docteur, ce qui ne surprend pas trop le baron, vu l'état éthylique chronique du docteur. Hérisson commence à parler des empreintes de taureau, ce qui fait que le Baron marque le coup. Sur ces entrefaites, arrivent Jean Verdier et sa femme Élisa. Au cours de la conversation, cette dernière laisse échapper qu'elle connaissait le docteur depuis septembre 1925.


L'inspecteur et le détective prennent congé du Baron et de son gendre. L'inspecteur dépose Dick Hérisson à son hôtel à Arles. À sa grande surprise, alors qu'il est en train de prendre une bière à table, arrive son ami Jérôme Doutandieu, journaliste au Petit Provençal. Hérisson raconte à son ami l'objet de son enquête et lui demande ce qu'il sait d'Élisa, la fille du Baron. Il se souvient vaguement qu'elle avait été mariée à Pedro Espargo, un toréro, contre l'avis de son père, Espargo étant décédé lors d'un combat dans l'arène en septembre 1925. Hérisson raccompagne son ami au journal, et va lui-même faire un tour à la bibliothèque pour retrouver la coupure de presse relatant le décès du toréro. Il y découvre qu'il avait été pris en charge par le docteur Billardot après avoir été blessé par un taureau. Le lendemain matin, Hérisson est réveillé dans sa chambre par l'inspecteur Garagnoux qui lui apprend la découverte d'un deuxième cadavre, la voiture de Jean Verdier ayant été accidentée. Le corps de Verdier n'a pas été retrouvé ; seul le corps de son chauffeur était à proximité. Ils vont annoncer la nouvelle au Baron Segonnaux. Sa fille les attend sur le pas de la porte et leur indique que son mari est vivant et qu'il vient de téléphoner. Se sachant observée, elle donne rendez-vous le lendemain à Hérisson dans le musée Arlésien (Museon Arlaten) à quinze heures.


En voyant le nom du personnage principal, le lecteur pense tout de suite à Harry Dickson, un détective américain recréé par Jean Ray (Raymond Jean Marie De Kremer, 1887-1964) dont il a écrit 103 nouvelles sur les 108 publiées. Le lecteur retrouve effectivement l'archétype du détective privé, sans beaucoup de personnalité, avec une capacité de déduction supérieure à celle des inspecteurs de police officiels, et menant des enquêtes sur des crimes sordides. D'ailleurs s'il y prête un peu attention, il se rend compte que Didier Savard intègre régulièrement des clins d'œil à d'autres auteurs comme Gaston Leroux (1868-1927, créateur de Joseph Joséphin en 1927, dit Rouletabille), à Frédéric Mistral (1830-1914, écrivain et prix Nobel de Littérature), au personnage de Demaesmeker (en référence à De Mesmaeker, personnage créé par André Franquin), Jacques Tardi, ou encore Alfred Hitchock (1899-1980, apparaissant sur le quai de la gare dans la planche 43). S'il est familier de ces références, le lecteur est en terrain connu : une enquête où un détective privé collabore avec facilité avec la police, pour découvrir un coupable dans un meurtre dont l'apparence laisse présager l'intervention d'un phénomène surnaturel. Effectivement le doute plane rapidement sur le retour d'entre les morts du toréro Pedro Espargo (Est-il bien mort ?), et sur les capacités du taureau, un personnage citant explicitement Le chien des Baskerville (1902) de Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930).


Didier Savard débute directement par la découverte du cadavre dans la première page, et par la possibilité d'une créature surnaturelle dès la page 2. L'enquête se déroule de manière conventionnelle en allant voir les personnes qui ont croisé le docteur, dont son dernier client. Dick Hérisson ne fait jamais usage de la force, il ne s'agit pas d'un polar hard-boiled. Il se rend à la bibliothèque, au musée pour recueillir plus d'informations. Il écoute ce que disent les uns et les autres. De manière inattendue, l'auteur adjoint un compagnon à son personnage principal, et le journaliste Jérôme Doutendieu s'avère tout aussi perspicace que Hérisson, participant activement à l'enquête, n'étant pas cantonné au rôle de faire-valoir, ou de confident. L'enquête amène les personnages chez un notable riche et puissant, pour faire connaissance avec lui, sa fille et son gendre. L'auteur ne se brosse pas un portrait psychologique de ces individus, et ne se livre pas à une analyse sociologique. Il est apparent que son scénario repose entièrement sur l'intrigue et sur la mécanique de l'enquête, sans l'ambition d'un polar qui agirait comme le révélateur d'un milieu social.


Les personnages se présentent avec des caractéristiques qui les rendent aisément identifiables : forme du visage et coiffure, tenue vestimentaire, morphologie. L'artiste leur apporte une certaine élégance, que ce soit les toilettes d'Élisa Verdier, ou les costumes d'époque pour les hommes. Il épure leur visage, façon ligne claire. Il a tendance à simplifier également les expressions de leur visage, qui donnent une sensation de jeu d'acteur un peu emprunté, pas tout à fait naturel. Les postures et les mouvements sont plus réalistes. Rapidement le lecteur se rend compte que la représentation épurée des personnages tranche avec la finition plus détaillée des décors. Même si le choix des couleurs est parfois déconcertant, donnant une impression un peu criarde, il constate que Savard a soigné la décoration du salon du Baron Segonnaux. Dans la planche 7, il admire la qualité du rendu de la façade de l'hôtel dans lequel séjourne le détective, ainsi que la statue sur la place devant, celle de Frédéric Mistral, et les modèles de voitures, ainsi que la forme des chaises à l'intérieur.


Effectivement, tout du long de ce tome Didier Savard s'investit pour représenter avec minutie les différents endroits. Ainsi, le lecteur peut admirer l'architecture de la façade du journal de Doutendieu, celles du musée Arlésien qui existe vraiment, son aménagement intérieur avec ses poutres apparentes, la cour de l'hôpital Van Gogh à Arles, les baux de Provence vus d'en bas, les pierres tombales du cimetière, ou encore une usine désaffectée à l'écart, une belle locomotive sortant de la gare d'Arles et passant sous un portique métallique avec 2 colonnes en pierre de chaque côté et une statue de lion sur chacune. De temps à autre, il tique un peu sur le choix des couleurs, souvent naturalistes, mais donnant l'impression de combiner plusieurs intensités lumineuses différentes. Il est possible d'y voir une intention d'introduire une sensation d'étrangeté, mais alors elle n'est pas assez assumée. Si l'intrigue ne rend pas compte d'une dimension sociale ou historique, les paysages sont à l'opposé d'environnements génériques et inscrivent le récit dans un lieu précis et concret, donnant l'impression au lecteur de pouvoir le visiter, ou de retrouver des lieux qu'il a déjà visités.


Dès ce premier tome, la personnalité de l'auteur transparaît dans l'histoire. Il affiche ses références en toute transparence, rendant hommage aux auteurs de romans policiers français et belge, avec une pointe de Conan Doyle. Il déroule une histoire de facture classique, à base d'entretiens de quelques personnes de l'entourage de la victime. Il recrée une époque, en représentant les tenues et les véhicules d'époque, effectuant une reconstitution historique honnête, sans verser dans le roman historique. Il ménage le suspense quant aux méthodes du criminel, laissant la bride abattue à l'imagination du lecteur s'il souhaite se prêter au jeu de savoir si les crimes sont purement matérialistes, ou si un élément surnaturel a pu entrer en jeu, tout en donnant une réponse claire et tranchée à la fin. Le lecteur peut être étonné par la répartition des rôles entre Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu en cours de récit. Il finit même par se demander si ce Jérôme a quelque chose à voir avec Jérôme K. Jérôme Bloche d'Alain Dodier, pourtant apparu 2 ans plus tard en 1985. Si l'enquête n'agit pas comme un révélateur social ou psychologique, les dessins emmènent le lecteur dans une visite guidée de la région, avec une qualité d'immersion inattendue.



6 commentaires:

  1. Très intéressant que tu t'y mettes !
    J'ai souvent feuilleté les albums de cette série, sans franchir le pas.
    On dirait que cette absence de facette sociale ou psychologique t'a légèrement perturbé.
    As-tu l'intention de lire les tomes suivants ?

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    1. J'avais déjà lu les premiers albums de la série il y a 20 ans, en les empruntant à la bibliothèque municipale et j'ai eu envie de les relire. Effectivement je suis attaché à la fibre polar qui reste ici embryonnaire.

      J'ai la ferme intention de lire les tomes suivants, car les 2 intégrales sont dans ma pile de lecture. :)

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    2. J'apprécie les deux genres.
      À vrai dire, je suis même très amateur des romans d'énigme à la Conan Doyle, Gaston Leroux ou Agatha Christie. J'apprécie cette glorification (peut-être infantile) de l'esprit de déduction - plus que les réflexions psychologiques du polar (des archétypes qui se déclinent mais se répètent), même si j'aime beaucoup ce style aussi.

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  2. J'ai également été un très gros lecteur de romans à énigme, Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Tommy & Tuppence Beresford, Miss Marple, et quelques autres moins célèbres. J'ai également lu beaucoup de policiers de la collection Grands détectives de 10/18, où j'ai découvert l'incroyable Juge Ti, le frère Cadfael, le club des veufs noirs (d'Isaac Asimov, un groupe d'hommes qui résolvent des enquêtes en restant dans une bibliothèque), le père Brown (de GK Chesterton), le rabbin David Small (d'Harry Kemelman), Pepe Carvhalo, Martin beck, l'inspecteur Napoléon Bonaparte (d'Arthur Upfield) et tant d'autres. Je n'ai dû lire qu'un seul Rouletabille.

    Mon ressenti est qu'il est beaucoup plus difficile de rendre ce genre de récit plausible en bande dessinée où les trucs et astuces, ainsi que les ficelles se voient beaucoup plus que dans un roman... ou alors je n'ai pas lu les bonnes BD dans ce genre.

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  3. un super article, merci !

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    1. Bonjour,

      merci d'avoir laissé un petit mot gentil.

      Bonnes lectures

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