vendredi 1 juin 2018

Claudia - Tome 02: Femmes violentes

Les corps sont cuits, mais pas incinérés.

Ce tome est le deuxième d'une série en cours de parution ; il fait suite à La porte des Enfers. Il est initialement paru en 2006, publié par les éditions Nickel. Il a bénéficié d'une réédition en 2017 par les éditions Glénat. L'histoire a été écrite par Pat Mills, dessinée, encrée et mise en couleurs par Franck Tacito. Cette série est dérivée de la série Requiem d'Olivier Ledroit & Pat Mills. Ce tome peut se lire sans avoir lu la série Requiem.

À Gippeswick, en Angleterre, en 2002, Carly Blackwell est en train de courir sur un tapis dans une salle de sport, en papotant avec sa voisine. Carly évoque son projet d'ouvrir une salle de sport dans les 6 mois, avant ses 21 ans. En réponse à une question de sa voisine, elle répond qu'elle va utiliser l'argent de son héritage, sa mère Claudia étant décédée. Sa voisine répond à sa question sur sa brûlure au poignet. Elle explique qu'elle exerce le métier de prostituée et ce que lui est arrivé il y a quelques semaines au cours d'une prestation. Une femme l'avait engagée pour ce qu'elle croyait être une orgie, mais qui s'est avérée être un rituel de magie noir. Elle s'est retrouvée allongée et attachée au milieu d'un pentacle, devant être sacrifiée par la gardienne des Enfers. Au milieu de la cérémonie, elle a profité qu'un des participants ait une crise cardiaque, pour se libérer avec la flamme d'une bougie et pour s'enfuir en montant au rez-de-chaussée et en brisant une vitrine de l'intérieur. La gardienne des Enfers se faisait appeler Claudia.


Sur Résurrection, Claudia Demona a perdu connaissance, étourdie par la lumière. Elle est emmenée inconsciente par Monsieur Martini et son sbire Grozny Pork. Elle reprend connaissance affublée d'un costume d'écolière, attachée à une chaise électrique, subissant la diatribe de Jackal, un des sbires de monsieur Martini. Elle urine sciemment sous elle pour que le liquide se répande jusqu'aux pieds de Jackal. Ainsi quand il abaisse la manette, le courant passe à travers elle, mais l'électrocute également. Elle se libère, quitte la pièce et parvient à une autre pièce dont les murs sont décorés d'une collection d'insectes. Elle neutralise son nouvel agresseur en un temps record. Dans une autre pièce, monsieur Martini et Grozny Pork suivent sa progression par des caméras présentent dans chaque pièce, qui sont autant de plateau de tournage. Ils ont enrôlé Claudia à son insu dans un snuff movie dont elle est la victime.

Tout lecteur normalement constitué a choisi son camp à l'issue du premier tome de la série. Soit il est parti dégoûté par la tonalité de farce grossière, l'accumulation de comportements outranciers et vulgaires, et le traitement de l'image de la femme, en jurant qu'on ne l'y reprendrait jamais plus. Soit il a autant apprécié ces provocations crasses, que le portrait d'une femme arriviste et égoïste, prêt à sacrifier les autres, comme le premier homme venu, ayant les mêmes dispositions d'esprit s'entend. Forcément s'il est revenu pour le tome 2, c'est qu'il appartient à la deuxième catégorie et qu'il attend avec impatience l'affrontement entre Claudia et Pus, le gugusse qui ressemble à une verge avec 2 testicules. La scène d'introduction lui rappelle qu'il est bien dans la série dérivée de Requiem, puisque Pat Mills commence par montrer ce qui se passe sur Terre avec Carly en guise d'introduction (dans Requiem il commence par une scène dans le passé se déroulant sur Terre). Toutefois dès la page 3, le lecteur retrouve la preuve du degré d'implication de Franck Tacito avec le costume de Gardienne des Enfers pour Claudia Blackwell, et une paroi en pierre de taille en arrière-plan, avec un pentagramme en surimpression. Comme dans le tome 1, l'artiste a à cœur de rendre compte de la démesure décadente dans laquelle se déroule l'histoire.


Ainsi dès la page 4, le lecteur contemple un gigantesque visage sculpté dominant l'autel du sacrifice, ornementé d'inscription gravée dans la pierre. Pour le retour sur Résurrection, il voit des créatures arachnides transportant des caméras sur le dos, particulièrement répugnantes. Il n'est bien sûr pas possible de déterminer à la lecture dans quelle proportion le scénariste a conçu les créatures et les environnements par ses indications, mais il est certain que l'artiste leur a donné corps de manière saisissante. Dans le registre des décors, les différentes pièces correspondant aux scènes du film sont bien glauques, et la prise de vue culmine dans une vue d'ensemble des studios s'étalant sur 2 pages, bourrée de détails pour le lecteur qui souhaite prendre le temps de les observer. La séquence de cérémonie funéraire est l'occasion d'admirer une cathédrale aux dimensions cyclopéennes, d'abord à l'extérieur (un dessin en pleine page), puis à l'intérieur (un dessine en double page), toujours avec la même obsession du détail. Par la suite, le lecteur tombe encore en arrêt devant un champ de bataille. De passage dans le quartier du Dépotoir, il se rend compte qu'il s'est arrêté de lui-même pour détailler les façades et les occupations des zombies dans ce dessin en double page. Toutes les réticences qu'il avait pu éprouver dans le premier tome sont levées. Franck Tacito est totalement impliqué dans l'illustration de cette série et il se donne à fond.

L'artiste continue de détourer les formes avec un trait fin, sans varier l'épaisseur de son trait pour rendre compte d'une ombre portée ou de l'éclairage. Cette manière de faire continue de donner une impression de dessins un peu basiques dans leur rendu. Mais la lecture atteste de la complexité et de la profondeur des compositions. En outre, les dessins sont complétés par une mise en couleurs qui apporte les informations sur les fluctuations d'éclairement et les ombres projetées, ainsi que sur les textures. Les compositions sont encore rehaussées par l'utilisation maîtrisée et raisonnée des effets spéciaux réalisés à l'infographie. Après le temps d'adaptation (ou d'acceptation) du mode de détourage, le lecteur se rend compte que Franck Tacito est tout aussi déchaîné qu'Olivier Ledroit, même si ses planches n'ont pas la même élégance plastique. Comme dans le premier tome, il représente tout ce qu'exige le scénario, jusqu'au plus crade, sans jamais rechigner. Il apporte la touche de grand guignol nécessaire pour les tenues de ces dames, du corset rouge cramoisi avec string pour la gardienne des Enfers, au costume d'écolière avec jupe trop courte pour Claudia, en passant par la tenue plus que révélatrice d'Élisabeth Bathory. Le lecteur peut s'amuser à détailler ces tenues, et prendre plaisir à ce qu'elles ont d'outrées et de choquant, jusque dans les moindres détails. À ce petit jeu, Bathory remporte la palme avec sa toison pubienne à l'air, taillée en forme de crucifix renversé, le même motif pour ses cache-tétons, le col de sa cape ouvragé, et ses cuissardes à talon.



Les autres personnages valent également le déplacement, tel Pus en train de cracher la purée (de manière métaphorique), et Claudia rapportant la taille de son engin à celle de son membre de manière inversement proportionnelle. Si ces dames décrochent le pompon des accessoires de mode à connotation érotique, voire pornographique, Franck Tacito n'en néglige pas pour autant les autres types d'accessoires qu'ils soient communs comme les modèles de lunette de soleil, ou plus horrifiques comme les globes oculaires servant à attacher les couettes de Claudia en costume d'écolière. L'implication de l'artiste ne se limite aux détails croustillants qu'il insère dans chaque page et qui apporte une touche ludique à la lecture. À l'instar d'Olivier Ledroit, il met un point d'honneur à réaliser des compositions complexes pour des moments spectaculaires. Après le rituel sacrificiel avorté, le lecteur tombe en arrêt devant la double page présentant une vue aérienne d'ensemble des studios de monsieur Martini. Ensuite, il prend le temps de détailler la vue d'ensemble en double page de la cérémonie de funéraire pour les 4 vampires décédés : Stéphane Dracula, Grob Smrt, Ubica Zub, Krvava Mary. Il a du mal à croire à ses yeux en découvrant le carnage cannibale sur des cadavres bien cuits, qui clôt cette cérémonie. Le reste de sa lecture lui réserve encore bien d'autres surprises visuelles dans des prises de vue complexes. Franck Tacito fait preuve d'un mauvais goût assumé, avec une inventivité et un entrain à la hauteur de l'imagination du scénariste.


Les dessins répondent donc à l'attente du lecteur venu pour une série visuellement provocatrice et outrée. Pat Mills continue donc dans cette veine avec une verve impressionnante. Le lecteur attend également que l'intrigue progresse. Il comprend bien que la séquence d'ouverture avec la prostituée a pour objectif de permettre de suivre l'évolution de Carly Blackwell sur Terre, pendant que sa maman s'éclate en Enfer, afin de ne pas l'oublier et de la faire évoluer pour qu'elle soit prête au moment du dénouement. La parodie de snuff movie est irrésistible avec cette victime qui met à mal ses agresseurs avec force et violence, sans oublier le sang et le gore, mais l'intrigue n'avance pas vraiment pour autant. Il faut donc attendre d'avoir passé le premier tiers pour que Claudia Demona se remette en chemin pour rechercher comment revenir sur Terre, et développer des relations avec de nouveaux personnages comme Élisabeth Bathory, et croiser le chemin de l'inspecteur Gol Gotha. Le lecteur apprécie que le scénariste (et le dessinateur) ne sacrifie en rien le grotesque et le politiquement incorrect dans les 2 autres tiers, restant dans le même ton que le premier.

Ce deuxième tome ne se limite pas à une suite de scènes gore et provocatrices, sur fond gothique et sexy. Comme toujours, les personnages de Pat Mills, et les situations dans lesquelles ils se retrouvent charrient des commentaires sociaux. La scène du rituel sacrificiel évoque les privautés que s'autorisent les riches et puissants, mais de manière littérale et trop consensuelle pour être autre chose qu'un élément servant au divertissement. Il en va de même pour la fétichisation de Claudia dans un habit d'écolière. Par la suite certaines observations en passant qui ne semblent là que par nécessité constituent des constats, des critiques et des réflexions plus sarcastiques et plus virulentes. Il en va ainsi de l'abus de pouvoir de Stéphane Dracula de faire fermer une autoroute pour pouvoir tester sa voiture, ou des privautés que se permet monsieur Martini qui rappellent celles de certains producteurs vis-à-vis des actrices. L'horreur ne naît plus alors de l'exagération grotesque, mais bien de la réalité de ces comportements. Ainsi le lecteur découvre des observations d'autant plus terrifiantes que les situations dénoncées reflètent le quotidien et le monde dans lequel il vit. L'exagération des comportements et des personnages servent alors à mettre en lumière les motivations profondes des individus (leurs bas instincts) et la nature du système dans lequel ces horreurs peuvent se produire. Pat Mills en donne un exemple éclatant avec un conflit armé et un personnage expliquant : La guerre nous enrichit. Nous venons tuer des pauvres. Nous venons libérer, civiliser, manipuler, censurer, contrôler. C'est ainsi que nous combattons. Nous nous battons contre les civils morts de nos bombardements ou de leurs conséquences, morts de nos mines ou de nos ventes d'armes. Contre les mères qui ont donné naissance à des enfants handicapés à cause des munitions à uranium appauvri. Ces faits sont bien réels et ils n'en deviennent que plus atroces du fait qu'ils trouvent une place naturelle sur Résurrection.


Alors que le lecteur avait pu éprouver des réticences à se lancer à la découverte de cette série dérivée, qu'il n'avait pas forcément été entièrement enthousiaste à la lecture du premier tome, il se rend compte que Franck Tacito est totalement impliqué dans ses pages, et réussit à transcrire la démesure et le grotesque du récit, et que Pat Mills ne traite pas du tout ce récit comme étant secondaire. Il augmente le degré de dérision et de farce, mais rien lâcher sur les thèmes de fond.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire