jeudi 3 mai 2018

Expérience mort, Tome 2 : Cimetière céleste

Ce tome fait suite à Expérience mort 1 - La barque de Râ qu'il faut avoir lu avant car ils forment un diptyque. Il est initialement paru en 2014. Il s'agit d'une histoire imaginée conjointement par Valérie Mangin & Denis Bajram. Valérie Mangin a réalisé le scénario du récit, ainsi qu'écrit les dialogues. Jean-Michel Ponzio en a effectué le story-board, les dessins, l'encrage et les couleurs. Ce premier diptyque a été suivi d'un deuxième réalisé par les mêmes auteurs : La résurrection de la chair (2015) & La porte du ciel (2016).

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- Attention ce commentaire révèle quelques éléments de l'intrigue du premier tome.
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Les 2 journalistes en planque en périphérie du site des entreprises Fork sont très déçus car il ne se passe absolument rien de visible. À l'intérieur du bâtiment central où se trouve la nef d'Horus-Râ, les scientifiques et les techniciens sont très inquiets car les capteurs indiquent que monsieur Black est décédé, la nef est recouverte de glace, et il reste encore 2 minutes à courir avant de réanimer le corps de Matt. À l'intérieur de la nef, les passagers se demandent comment faire redémarrer le générateur principal de tachyons. Ils sont obligés de revêtir complètement leur combinaison protectrice en attendant de trouver une solution. L'un d'eux propose de se sacrifier pour réchauffer les composants techniques trop froids pour pouvoir fonctionner. Un deuxième se propose à sa place. Finalement ils trouvent une idée un peu macabre et la mettent en œuvre grâce à un canif providentiel. Le voyage peut continuer.

Mais alors que l'ingéniosité de Buzz les a tirés d'affaire, il entend les jugements de valeur négatifs que les autres portent à son encontre. Il préfère se concentrer sur ses tâches de pilote plutôt que de s'attarder sur ces sentiments négatifs. Il doit en effet rattraper le sarcophage de Matt qui a pris un peu d'avance, tendant au maximum les câbles qui le retiennent à la nef Horus-Râ. De son côté, la scientifique Elois commence à formuler des hypothèses sur la nature de l'expérience qu'ils vivent. Elle présume qu'en fait il ne s'agit pas de leurs formes corporelles qui sont bel et bien restées à bord du Horus-Râ dans le bâtiment des entreprises Fork, mais plutôt d'une forme de réalité spirituelle générée par le cerveau de Matt Fork. Mais voilà que se manifestent des apparitions d'anges chérubins à l'extérieur de la nef.


Le premier tome de la série s'était avéré fort intriguant. Il bénéficiait de dessins léchés donnant à voir un reportage de qualité quasi photographique sur une expédition déraisonnable : suivre l'esprit d'un mort vers l'au-delà. Les auteurs avaient réussi à éviter les représentations trop naïves de ce type de voyage, ainsi que les conceptions new-age pour un voyage prenant, constituant un thriller fonctionnant sur la base de cette exploration de l'inconnu où le champ des possibles est infini. Le lecteur a donc hâte de découvrir la suite, à commencer de savoir si oui, ou non ces thanatonautes vont accéder à l'au-delà, ou s'il va se produire un couac. En conteurs chevronnés, les auteurs commencent par une page pour remettre le lecteur dans le bain, avec les 2 journalistes bredouilles. Puis en 2 pages, la situation est résumée et la voyage peut continuer. Le premier constat du lecteur est que l'intrigue est toujours aussi imprévisible. Ce n'est pas que les auteurs tirent la ficelle avec une narration en forme de fuite en avant pour étoffer la pagination, c'est qu'effectivement les personnages avancent en territoire inconnu de l'humanité (ou tout du moins personne n'en est jamais revenu pour raconter ce qu'il y a vu). Malgré tout, il faut bien dénouer la situation et fournir un minimum d'explications pour donner les règles du jeu. C'est par la bouche de la scientifique Elois que les auteurs proposent une interprétation de ce que perçoivent les voyageurs vers l'au-delà, avec une explication logique dans le cadre d'un tel récit. Bien évidemment ils contredisent l'explication donnée en page 13 dès la page 16 avec l'apparition inopinée d'anges chérubins. Ils en rajoutent une couche à partir de la page 20 avec une forme inattendue de voyage dans le temps, et une référence à La machine à explorer le temps (1895) d'Herbert George Wells.

À partir de là, le lecteur peut soit s'agacer de ces éléments fantaisistes, soit se calmer en se rappelant qu'il lit une bande dessinée d'aventures et pas un traité de métaphysique. D'un point de vue inverse, c'est même la preuve que les auteurs avaient réussi à l'emmener assez loin s'il s'est pris au jeu jusqu'à espérer une révélation sur la nature de la mort et de ce qu'il y a au-delà pour les âmes. Si Denis Bajram ne semble plus assurer la post-production visuelle, les dessins n'ont pas baissé en qualité descriptive. Les visages des personnages sont tout aussi réalistes et expressifs. Le lecteur éprouve parfois l'impression que Jean-Michel Ponzio s'inspire de photographies pour certains visages, en particulier celui des femmes comme la scientifique Elois, ou les dames qui s'occupent de Buzz. Les expressions des visages sont celles d'adultes et permettent de se faire une idée de l'intensité de l'émotion éprouvée par le protagoniste, que ce soit une expression neutre de façade, ou une forte inquiétude, une résolution inébranlable, ou encore un sentiment de béatitude exaltante.


L'artiste continue de mettre en œuvre les éléments de décors conçus et développés pour la première partie, avec la même consistance et la même cohérence. Le lecteur continue de pouvoir se projeter au poste de pilotage de la nef Horus-Râ, ainsi que dans ses coursives qui présentent une technologie plausible, à défaut d'exister vraiment. Au cours de ces trois chapitres, le dessinateur est également amené à représenter la salle où se trouvent les techniciens, ingénieurs et médecins chargés de suivre les données envoyées par la nef, à nouveau cet environnement est représenté de manière détaillée, en cohérence avec le précédent tome. Il doit également décrire le laboratoire de l'arrière grand-oncle d'Elois, ce qu'il fait avec conviction, même si la hauteur sous plafond semble déraisonnable. Les combinaisons revêtues par les thanatonautes présentent des particularités réalistes, à mi-chemin entre de vrais scaphandres, et des tenues d'astronautes.

Comme le montre la couverture, Jean-Michel Ponzio se retrouve également à illustrer de nombreux éléments inattendus, à commencer par ce paquebot dans un cimetière de navires, ou ces carcasses d'avion de la seconde guerre mondiale. À nouveau le lecteur apprécie de pouvoir compter sur le sérieux du travail de référence du dessinateur, et il n'a pas de doute quant à l'authenticité de la forme du Raifuku Maru, disparu en mer en 1925. Il identifie également du premier coup d'œil le mur d'enceinte du camp de concentration d'Auschwitz. Comme dans le premier tome, la qualité descriptive et réaliste de la narration visuelle permet au lecteur de se projeter dans chaque endroit (réel ou créé pour l'histoire), et d'observer des outils et des machines plausibles, réellement utilisables par les protagonistes. De ce point de vue, la narration visuelle ancre le récit dans une réalité proche de celle du lecteur, et permet de mieux intégrer les éléments hétéroclites du récit.

Alors que l'explication (pseudo) scientifique donnée par l'experte Elois incite le lecteur à rationaliser la nature du voyage sous la forme d'une manipulation sophistiquée de leurs perceptions, l'inclusion d'une possibilité de voyage dans le temps le déstabilise complètement. Cette possibilité replace le récit dans la série B de genre, en exigeant une augmentation du degré de suspension consentie d'incrédulité. Mais dans le même temps, le lecteur ne peut pas s'empêcher de chercher à identifier les schémas pour rétablir une logique, et les règles de fonctionnement internes du récit. Sa capacité de concevoir un tel schéma est mise à rude épreuve avec l'apparition des anges chérubins que Ponzio dessine dans une tradition judéo-chrétienne, sans volonté de les rendre terrifiants, ou d'en faire de simples spectres surnaturels. Le lecteur n'a pas d'autre choix que d'accepter les événements incongrus au fil de leur apparition. Il ne se formalise pas que chaque voyageur voit apparaître les spectres de ses proches défunts, comme une manifestation de leur âme. Il lit les 4 pages consacrées à l'arrière grand-oncle de la scientifique Elois comme si elles étaient tout à fait leur place dans le récit du voyage des passagers de la nef Horus-Râ. Il regarde avec curiosité la révélation faite à chaque personnage quant à la véritable nature du monde, chacun la percevant en fonction de ses convictions.


Malgré tout, le caractère hétéroclite des péripéties et des événements finit par susciter un questionnement chez le lecteur. Le récit ne ressemble plus trop à un reportage linéaire sur une entreprise extraordinaire, mais à une suite de bouleversements n'ayant de valeur que pour leur effet de surprise et d'étonnement, comme si le récit avait vraiment basculé dans une aventure de genre assumée. Il subsiste quand même des moments plus réflexifs comme l'hypothèse sur la véritable nature du voyage, les préconceptions sur l'au-delà en fonction de sa culture et de sa formation, et même les limites intrinsèques de l'imagination humaine. Alors même que la scientifique Elois éprouve la plénitude qu'apporte la révélation de la mise en équation de l'existence, elle perçoit aussi qu'un paramètre essentiel n'a pas pu être modélisé par des formules. Le lecteur sourit également de la deuxième de la révélation que doit affronter Katlyn Fork avec une fourmi. Mais il reste un sur sa fin, car ces séquences donnent l'impression de s'éparpiller dans des directions différentes, et elles ne constituent pas une résolution à proprement parler. Il en va complètement différemment avec le dénouement décrit dans les 6 dernières pages de ce tome. Le lecteur se dit que finalement les 2 premiers tomes ne servent que d'introduction au diptyque suivant.


Ce deuxième tome souffle un peu le chaud et le froid sur le lecteur. La qualité de la narration visuelle ne diminue pas d'un iota par rapport au premier tome, et promet la suite du récit sous forme de reportage réaliste. Le scénario rebondit sur plusieurs coups de théâtre qui s'apparentent à une narration de genre n'ayant de valeur que pour leur effet de surprise, et qui, malgré leur qualité, donnent l'impression au lecteur de tirer à a ligne pour atteindre le nombre de pages fixé par l'éditeur. Le coup de théâtre final amène le lecteur à reconsidérer la nature de ce qu'il vient de lire, et d'y voir le premier chapitre (constitué par les tomes 1 & 2) d'une histoire bien différente de celle qu'il avait imaginée.


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