jeudi 24 mai 2018

Dylan Dog : Goliath

Intrigue classique, dessins expressifs

Ce tome comprend une histoire complète parue en mai 2017 en français. Ce récit est initialement paru dans le numéro 13 du hors-série annuel Speciale Dylan Dog, en octobre 1999. Le scénario est de Pasquale Ruju, et les dessins ont été réalisés par Nicola Mari, comme pour les 2 tomes précédents publiés par Mosquito. C'est un album en noir & blanc. Dylan Dog est un personnage récurrent de fiction, dont les aventures paraissent mensuellement en Italie depuis 1986.

L'histoire se déroule au temps présent de sa publication, c’est-à-dire en 1999. Dylan Dog a été embauché par Jenna Walken pour le compte de l'entreprise pétrolière Shermann Oil. Il se trouve avec Groucho sur un bateau bravant le mauvais temps de la Mer du Nord pour rejoindre une plate-forme offshore appelée Goliath. À bord du navire, se trouvent Elke Christiansen (la capitaine) et son second Wolf, Sven Helmer (co-concepteur de la plate-forme) dont la femme Lotte Helmer se trouve sur la plate-forme, Jérôme Shermann (le fils de Dwight Shermann, PDG de Shermann Oil, également sur la plate-forme), Jenna Walken (médecin biologiste), Doyle et 2 de ses hommes, armés et prêts à tout affronter. Le navire a été affrété suite à la réception de 2 communications vidéo inquiétantes. La première montre Lotte Helmer paniquée en voyant quelque chose arriver d'en bas. La seconde est de mauvaise qualité, mais on voit des employés en train de fuir, et de se jeter à l'eau pour essayer d'échapper à l'emprise de ce qui ressemble vaguement à des tentacules.

Après avoir visionné les 2 courtes séquences à partir de cassettes vidéo, les différentes personnes expliquent la situation à Dylan Dog et à Groucho. La plate-forme étant située dans les eaux internationales, l'entreprise Shermann Oil a dû monter sa propre expédition de secours, rendue impérieuse du fait de la présence du PDG sur la plate-forme. La mauvaise qualité de la vidéo ne permet pas de savoir exactement ce qu'il s'est passé, mais il n'y a plus de contact radio avec l'équipage. Le navire arrive en vue de la plate-forme et Dylan Dog remarque un marin mort, suspendu dans les chaînes à l'extérieur de la plate-forme. La capitaine Christiansen explique que le premier problème est de savoir comment aborder sur la plate-forme alors que la mer est démontée. Effectivement la manœuvre se révèle périlleuse et même mortelle pour plusieurs.


L'éditeur Mosquito persiste et signe avec le troisième tome consacré aux aventures de Dylan Dog dessinées par Nicola Mari, après Statue vivante et La sorcière de Brentford. Le lecteur découvre un troisième scénariste après Bruno Enna, puis Claudio Chiaverotti. Il constate rapidement que le récit a pris quelques années, puisque les personnages n'utilisent pas de téléphone portable, et qu'ils utilisent encore des K7 vidéo pour magnétoscope. Toutefois, le reste du récit est moins daté dans la mesure où il ne rentre pas trop dans le détail technologique du forage en pleine mer. À plusieurs reprises, le lecteur peut constater que le scénariste comprend les principes du forage, que ce soit la dimension et la capacité de production de la plate-forme, ou les sondes et les explosions. Le caractère de chaque personnage est établi à gros traits : courageux, séducteur, réfléchi, ouvert à d'autres réalités pour Dylan Dog (conforme au personnage, à l'exception de sa flûte qu'il n'a pas emmenée), facétieux, absurde et toujours prêt à aider Dylan Dog pour Groucho, dure et fantasque pour la capitaine Elke Christiansen, plus réfléchie et introvertie pour la docteur Jenna Walken, autoritaire et manquant de confiance en lui pour Jérôme Shermann, constructif et endeuillé pour Sven Helmer, etc. Pasquale Ruju fait en sorte que les personnages ne soient ni anonymes, ni interchangeables, sans réussir à les rendre assez consistant pour que le lecteur ait envie de s'investir émotionnellement dans ce qui leur arrive.

Le scénariste affiche d'entrée de jeu le moteur de l'intrigue : la plate-forme de forage pétrolière est attaquée par un monstre avec des tentacules évoquant un Grand Ancien d'HP Lovecraft. Il établit la dichotomie habituelle entre les tenants de la raison scientifique, et ceux plus sensibles à une explication de nature surnaturelle. Dans les 2 cas, il joue carte sur table, entre la possibilité d'une forme de vie encore non répertoriée, ou la manifestation d'une déité décrite par William Blake (1757-1827) dans son ouvrage le Livre d'Urizen. Autant dans le premier cas, il se montre convainquant ; autant le lecteur a dû mal à voir ce qu'apporte la référence à Urizen, si ce n'est un nom, et la possibilité d'intégrer quelques vers dans la narration. L'intrigue se déroule donc de manière classique, avec un site isolé difficile d'accès (la plate-forme offshore), les premiers contacts avec la créature indicible, les confrontations avec perte en vies humaines, et la confrontation finale dont on sait que Dylan Dog sortira vivant puisque c'est un héros de fiction récurent. En fonction de son état d'esprit du moment, le lecteur peut trouver les blagues de Groucho amusantes parce qu'absurdes et décalées, ou alors totalement hors sujet, l'évocation de zombies trop facile ou au contraire dans la logique de l'analyse du phénomène surnaturel, le moyen d'en finir avec Urizen trop évident ou au contraire bien amené depuis le début.


Pasquale Ruju se conforme aux spécifications des aventures de Dylan Dog, consciencieusement, avec une logique narrative cohérente, et en ménageant de nombreux moments visuels, voire des planches quasiment muettes. De ce point de vue, le choix de cette histoire par Mosquito remplit encore plus son objectif que les 2 tomes précédents, pour constituer un exemple parlant du talent du dessinateur. Nicola Mari réalise des dessins vraisemblablement à l'encre et au pinceau, réalisant aussi bien des traits de contours réguliers et arrondis, que des aplats de noir aux formes un peu pâteuses, faisant perdre de la précision dans le rendu. La combinaison de ces 2 composantes aboutit à des dessins pouvant passer du domaine descriptif et précis, au domaine presque abstrait en passant par l'expressionnisme. Dans la première page, le lecteur se tient aux côtés de Dylan Dog dans un poste de communication du navire. Il peut voir une vanne, un écran, des tuyauteries, et différents éléments de la console qu'il ne peut pas identifier. L'artiste a su trouver le point d'équilibre entre les éléments reconnaissables et identifiables, et des formes plus génériques pour préserver la rapidité de lecture du dessin, tout en donnant une impression de décor consistant et plausible. Quelques pages plus loin (page 13), le lecteur lève la tête et voit le commandant sur la passerelle, pour un aperçu très réaliste des ponts supérieurs. De la même manière, Mari rend bien compte de l'environnement très particulier de la plate-forme, avec les poutrelles métalliques, les tuyauteries, les caillebotis métalliques, les puits et leurs échelles métalliques, la masse de la plate-forme, etc.

L'artiste a conçu des apparences spécifiques pour chaque personnage, que ce soit la forme du visage, sa coiffure, sa taille, ou encore sa tenue vestimentaire (qui reste la même tout d long du récit car ils n'ont pas l'occasion de se changer). Les expressions des visages sont assez parlantes, et Mari ne dessine pas pour faire joli. Du coup, il peut ainsi rapprocher visuellement les êtres humains normaux, avec ceux possédés, puisque l'écart visuel n'est pas énorme. Certaines séquences reposent sur des dialogues copieux. En fonction, Mari peut soit organiser une prise de vue sur la base uniquement des visages des interlocuteurs, ou les suivre dans leurs déplacements. Du fait de la copieuse pagination de cette histoire (environ 130 pages), le lecteur ne se formalise pas trop de ces suites de têtes en train de parler car elles sont contrebalancées par des séquences visuellement plus intéressantes.


S'il a lu les 2 premiers tomes, il est possible que le lecteur en soit encore à se demander pour quelle raison les éditions Mosquito ont souhaité se focaliser sur cet artiste parmi tous ceux qui ont contribué à mettre en image les aventures de Dylan Dog. Sa manière de traiter le noir & blanc est personnelle, que ce soit pour cet amalgame étonnant entre traits de contour propres et net, et aplats de noir massifs et plus irréguliers. Sa façon de dessiner les visages, sans afféterie ni volonté de beau rend les personnages plus mystérieux. En arrivant à la page 12, le lecteur découvre une mer démontée dont la force des vagues semble surgir de la page. Il retrouve cette même impression d'entrechoquement en page 16, encore plus violent à l'approche de la plate-forme en page 23, puis avec la force d'un ouragan en pages 31 à 36, avec une lame de fond qui emmène tout sur son passage. Dans cette séquence, l'artiste réalise une séquence d'action dans laquelle la mise en scène et le découpage semblent ballotter et tremper le lecteur, aux côtés des protagonistes. À chaque séquence d'action, Nicola Mari élève ses pages et ses cases au-dessus des stéréotypes visuels, pour une narration qui rend compte de la soudaineté des événements, des réactions des personnages dans le feu de l'action, de la rapidité de l'enchaînement des mouvements. Devenu sensible à la qualité de la mise en scène, le lecteur se rend compte que le dessinateur est tout aussi habile à faire apparaître les tensions sous-jacentes lors des conversations, par le langage corporel des interlocuteurs, par exemple quand la capitaine Elke Christiansen se retrouve seule en compagnie des barbouzes de la Shermann Oil.


Il est possible que le lecteur apprécie plus la qualité de la narration de Nicola Mari dans ce tome que dans les précédents. Le scénario suit une trame peu originale, mais bien maîtrisée et bien nourrie par les personnages et les remarques en cours de route, ménageant de nombreuses séquences reposant sur la narration visuelle. Avec leur apparence très particulière, les dessins extirpent ces séquences des clichés habituels, pour leur rendre leur force et leur sens, insufflant de la tension et du suspense.


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