dimanche 11 mars 2018

Edika, Tome 34 : Héroïques loosers

Un bon cru

Il s'agit du trente-quatrième recueil d'histoires courtes écrites et dessinées par Édika. Il est initialement paru en 2011, et comprend 8 histoires de longueur variable, dont 7 en couleurs. Son titre laisse le lecteur pensif, dans un état proche de l'hébétude. Pendant un instant, il a cru le comprendre : des perdants héroïques, ce qui pourrait se rapporter avec une bonne dose de dérision aux membres de la famille Proko. Mais pourquoi diantre l'auteur a-t-il choisi une orthographe avec 2 O pour le mot losers ? En effet en anglais, le loose ne signifie pas perdant. Mais d'un autre côté, en français la guigne se dit aussi la loose (avec 2 O). Cependant est-ce vraiment utile de perdre son temps à décortiquer cette question orthographique. En prime, dans la page intérieure reprenant le titre, l'auteur a ajouté un dessin dans lequel il se met en scène avec son fils, avouant que ni l'un ni l'autre n'a compris la couverture du présent album.

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- Hamster Bob (4 pages en couleurs) - Paganini (le fils de Bronsky Proko) fait ses devoirs, avec son hamster Bob en train de courir dans une roue sans fin. Le lendemain matin, il se rend compte qu'il a oublié de sortir Bob de sa roue électrique et qu'il a dû courir toute la nuit. Bronsky et Nini se rendent chez le vétérinaire pour savoir comment redonner un peu de tonus au hamster exténué.

C'est n'importe quoi ! Oui, comme d'habitude, mais en 4 pages, le lecteur plonge dans un récit très dense, plus cohérent que d'habitude. Les dessins sont expressifs comme jamais dans leur exagération : Bronsky se précipitant sur la prise électrique pour débrancher la roue avec un rictus de souffrance digne d'un athlète, un chien revenu de tout attendant avec son humain en laisse pour le faire soigner par le vétérinaire, Bob sur une mini-bouée dans un bocal avec 2 poissons rouges, un caméléon explosant sous un coup de fouet mal placé de son dompteur. Tout l'art de l'exagération sale et cruel d'Édika se trouve dans ces dessins, irrémédiablement incompatibles avec le politiquement correct. Le lecteur a la surprise de voir un collage dans la dernière page, la photographie d'une tête de chien apposée parmi les spectateurs au cirque.

L'histoire met les 2 pieds dans le plat de la loufoquerie et de l'absurde, jusqu'à une forme de résolution étrangement en rapport avec le début, surtout pour un récit d'Édika. En cours de route, l'auteur évoque l'influence d'un magazine comme Science et vie Junior sur les habitudes d'un enfant, une forme de course sans fin dans laquelle la vie de l'individu est déterminée par un environnement absurde, l'inutilité d'une thérapie de type psychanalytique, la cruauté envers les animaux dressés, les remèdes qui sont pires que le mal. Pour ne pas nuire à la réputation de l'auteur, la dernière case montre 2 enfants (Nini et Georges) en train d'acheter des préservatifs pour le hamster.


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- Au pays du pastis (6 pages en couleurs) - Sur les bords de l'étang de Berre (dans le département des Bouches-du-Rhône), un individu en imperméable commande un pastis dans le bistro Chez Lulu, spécialisé dans le pastis. La réaction du patron, puis des clients, est assez radicale et intolérante.

Cette fois-ci, Édika met en scène le décalage de 2 cultures irréconciliables, avec une obligation de s'intégrer à la culture locale, celle du pastis. La réaction des consommateurs en tant que foule donne lieu à des expressions sur leur visage, d'une intensité à couper le souffle, un humour visuel primal tellement leur ressenti est viscéral. Dans les 2 dernières pages, l'histoire part dans une autre direction, embrassant encore plus l'absurde, avec une inventivité sautant du coq à l'âne absolument imprévisible (non, même avec beaucoup d'effort, le lecteur n'est pas capable d'anticiper des déjections de pélican, ou l'importance d'un ion faisant partie d'un groupement d'atomes dont la charge électrique totale est égale à zéro).

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- Entracte (4 pages en couleurs) - Dans une salle obscure de cinéma, un monsieur vient s'assoir dans un fauteuil libre, à côté d'une dame aux formes épanouies, qui laisse sa main se balader. Mais Bronsky est interrompu par Georges (sa fille) dans la réalisation de sa BD, puis par le bruit insupportable de la console vidéo de Nini (son fils).

Le lecteur (et l'auteur) se retrouve en terrain familier : un début d'histoire pour quelques cases (moins d'une page), une interruption aussi brusque que dérisoire, et un récit qui part en vrille. Il y a même un lecteur apparaissant dans une case réagissant : Ah non, il va pas refaire le coup de la BD sans chute. Les exagérations des réactions de Bronsky Proko sont irrésistibles, absolument catastrophé et paniqué. Le retour à son état normal, vaguement apathique fait un contraste total avec son précédent état affolé. Le lecteur ne peut que compatir ses réactions en face d'interruptions inadmissibles et d'autant plus traumatisantes qu'elles sont minimes et banales. Il lui appartient de savoir s'il estime que ce récit autoréflexif sur l'auteur en train de produire sa BD constitue un métacommentaire pertinent et réflexif sur la nature d'un récit, ou s'il s'agit d'un stratagème pour remplir le quota de pages mensuel.

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- Fred passe son bac (7 pages en noir & blanc) - Fred a raté l'écrit du bac. Son pote Jacko lui propose une oreillette miniature dans laquelle il lui soufflera les réponses aux questions lors de l'épreuve d'oral.


Sans surprise, le plan ne se déroule pas comme prévu. Avec beaucoup de surprises, les avanies comprennent un tracteur qui tombe du ciel et un spectacle de ballet. Pour le coup, il y a une unité narrative certaine dans cette histoire, avec un fil conducteur solide, sur lequel viennent se greffer des rebondissements (2 personnages font même du ballon sauteur en rebondissant) loufoques irrésistibles. La tête d'ahuri de Fred montre son degré de passivité et d'impassibilité tout au long des tribulations de plus en plus énormes. Du Édika comme on l'aime.

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- Dernier recours (7 pages en couleurs) - Un monsieur va acheter du Viagra dans une pharmacie. Après avoir fait son emplette non sans mal, il revient chez lui et se prépare pour le grand soir. Mais il lui faut patienter une heure pour que le remède miracle fasse son effet érectile.

Après une histoire linéaire et absurde, le lecteur en découvre avec plaisir une deuxième, avec en plus une composante sexuelle, évoquant la misère sexuelle, le tabou de ce type de relation, l'angoisse de ne pas être à la hauteur, toutes les peurs de l'échec qui y sont associées pour l'homme moderne. Indubitablement, le lecteur se trouve en face d'un Édika grand cru qui n'hésite pas à nouveau à prendre un virage vers l'autodérision à une page de la fin, avec une sortie d'histoire massive et l'intervention musclée d'un lecteur pour exprimer sa rage face à la solution de continuité dont souffre le récit.

Visuellement les personnages sont englués dans une normalité veule et laide, avec des expressions embêtées face à leurs manquements, à leurs limites consubstantielles de leur condition humaine. Comme à son habitude, l'artiste peut se montrer bien crade avec Clark Gaybeul en train de vomir un couscous royal avalé trop vite.

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- Les joies de la BD (6 pages en couleurs) - Un monsieur est en tranquillement en train de lire son journal sur un banc quand il est apostrophé par un reporter (accompagné de son caméraman) qui lui apprend qu'il est dans une bande dessinée et que du coup il peut tout se permettre.

Édika est à nouveau à fond, avec des personnages vulgaires et un peu paumé (surtout le monsieur devant l'aubaine de pouvoir mettre sa main sur la poitrine d'une serveuse plantureuse, puisqu'il peut tout se permettre) et une suite de situations énormes et grotesques. L'inévitable sortie d'intrigue se produit et amène à une page consacrée à Bronsky sur les toilettes dans une vidéo passée en vitesse accélérée. Le raccord entre début de la fiction et passage à l'avatar de l'auteur se fait naturellement. Le lecteur n'éprouve pas la sensation que le récit ait subi une troncature en plein milieu, et la chute (car il y en a une) permet de rétablir un certain ordre moral en montrant que les actions ont des conséquences.


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- Sympa le TGV (5 pages en couleurs) - Un couple est en train de mater un film à bord d'un TGV avec des écouteurs pour ne pas gêner leur vis-à-vis, mais en s'esclaffant bruyamment ce qui l'empêche de se concentrer suffisamment pour pouvoir lire.

Édika raconte une histoire de manière linéaire, avec un fil narratif solide et ininterrompu, sauf à la dernière page parce qu'il a une réputation à maintenir. Comme à son habitude, il exagère le langage corporel du couple pendant qu'il visionne le film, ainsi que les expressions de leur visage, en fort contraste avec l'impassibilité du voyageur qui tente de lire. Le délire de la dernière page est irrésistible avec toute la famille Proko et la femme de ménage en train de s'éclater pendant que Bronsky chante une comptine avec un accompagnement punk à la guitare.

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- Vacances au Groenland (7 pages en couleurs) - Toute la famille Proko embarque à bord d'un avion long-courrier avec comme destination le Groenland. Mais en plaine voyage, Clark Gaybeul vomit sur un cheikh arabe derrière lui, et ce dernier exige que la famille soit expulsée de l'avion séance tenante. Le pilote n'a d'autre choix que de s'exécuter. Fort heureusement leur rangée de sièges atterrit sur une île, malheureusement pas si déserte que ça.

Incroyable mais vrai ! Il s'agit d'un récit sans diversion narrative, avec une forme de fin au premier degré. Édika ne s'embête pas avec le politiquement correct et la caricature du cheikh richissime est lourde à souhait. Il réalise des dessins fort inattendus comme Bronsky plongeant sous la surface de l'eau et se retrouvant face à des poissons tropicaux (une image presque belle, s'il n'y avait pas eu le slip de Clark flottant entre 2 eaux), ou comme le sexe de Clark Gaybeul à l'air (normal puisqu'il a perdu son slip).

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Encore un tome de plus réalisé par Édika. Les lecteurs arrivés là par hasard découvrent un auteur maîtrisant l'art de la dérision, de l'autodérision, de l'absurde et de la provocation. Il est impossible de rester de marbre devant les dessins montrant les pitreries des personnages, ou la force des émotions qui les habitent. L'auteur emporte son lecteur dans des métacommentaires remettant en cause la nécessité d'une histoire en bonne et due forme, mettant en scène l'auteur sous le signe de l'autodérision, et brisant le quatrième mur. Le lecteur régulier d'Édika le retrouve en très bonne forme, pour une série de récits courts variés et absurdes à souhait.

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