samedi 3 mars 2018

Dylan Dog : La sorcière de Brentford

La sorcière arrache les âmes comme des cœurs, des cœurs pleins de ténèbres.

Ce tome comprend une histoire complète, mettant en scène le personnage de Dylan Dog. Il n'est pas nécessaire d'avoir lu d'autres histoires de ce personnage pour comprendre et apprécier ce récit. Il est initialement paru en 2002, dans l'album mensuel 195, sous le titre La strega di Brentford, écrit par Claudio Chiaverotti, dessiné et encré par Nicola Mari. Ce récit est en noir & blanc. Dylan Dog est un personnage récurrent de fiction, dont les aventures paraissent mensuellement en Italie depuis 1986.

Dylan Dog est chez lui à Londres, bien installé dans son fauteuil en train de regarder les informations télévisées. Il est question de la disparition de 3 personnes Russell Dixon, Susan Manning et Albert Crowe. Ils recherchaient des traces de Sybill Warwick, une femme enterrée vivante 2 siècles plutôt, accusée de sorcellerie à Brentford, une bourgade située à 30 miles au nord de Londres. L'affaire intrigue Dog, et Claire (sa compagne du moment) lui demande d'enquêter dessus pour qu'elle puisse s'en servir dans le cadre de ses études sur l'occultisme. Ils partent dans sa Volkswagen Coccinelle, immatriculée DYD 666, sous les quolibets de Groucho.

Sur place, le prêtre Harry procède à une prière collective pour les disparus, en présence de Deanna Dixon (l'épouse de Russell), Jennifer & Harvey Crowe (les parents d'Albert) et Roxanne Manning (la sœur de Susan). Interpellés par Deanna Dixon, Dylan Dog et Claire se rendent chez elle, pour écouter comment les 3 chercheurs se sont rencontrés, puis ce qu'ils espéraient trouver. Ils vont ensuite s'entretenir avec les parents d'Albert Crowe, et enfin avec la sœur de Susan qui leur remet une copie des recherches effectuées par Susan. Rentré à l'hôtel Dylan Dog se lance dans la lecture de l'ébauche de mémoire de Susan Manning, et découvre l'histoire de Sybill Warwick.

Ce tome est le deuxième des aventures de Dylan Dog publié par les éditions Mosquito, après Statue vivante écrit par Bruno Enna, dessiné et encré par Nicola Mari. Le choix de l'éditeur est de retenir des récits mis en image par Nicola Mari, artiste ayant illustré 24 histoires longues de Dylan Dog, entre 1996 et 2013. La curiosité du lecteur est éveillée par ce tome, soit parce qu'il connaît déjà Dylan Dog et qu'il apprécie le ton de ses aventures, soit parce qu'il apprécie la politique éditoriale des éditions Mosquito. S'il connaît Dylan Dog, il s'attend à une enquête sur un ton gothique, avec un peu de macabre, une jolie donzelle et un peu de noirceur. Il a le plaisir de retrouver Groucho (l'employé de maison de Dog, il n'apparaît qu'une seule fois), et de de voir la Volkswagen Coccinelle blanche (immatriculée DYD 666). Dog fait appel à l'inspecteur Bloch (de New Scotland Yard), pour profiter de son entregent au sein de la police. Il a la surprise de découvrir que Dylan Dog est dans une relation suivie avec une femme (Claire). Par contre, il n'y a ni clarinette, ni juron fait maison. Mais Dylan Dog gagne un nouveau titre, celui de cauchemardologue.


Le scénariste propose d'éloigner son personnage principal de Londres et de le transplanter dans une bourgade dont on apprend quasiment rien et dont on ne voit pas grand-chose, si ce n'est la forêt avoisinante. Il a choisi une histoire de sorcière revenant se venger et de 3 étudiants ayant mystérieusement disparu. Quand leur caméra vidéo est retrouvée, le sergent Thompson (responsable de la police de Brentford) fait référence à Le projet Blair Witch (1999) écrit et réalisé par Daniel Myrick et Eduardo Sánchez. De fait les auteurs rendent un hommage appuyé au film, avec des séquences vidéo mal cadrées, des coupures abruptes, et des ellipses inquiétantes. Pour un lecteur ayant vu le film, le décalque se repère immédiatement, et l'effet est celui d'un hommage, sans la force du film. Pour un lecteur n'ayant pas vu le film, il s'agit d'un dispositif original et efficace, même s'il est un peu surprenant de parler de bande vidéo dans les années 2010, alors qu'elles étaient d'usage courant au moment de la réalisation de cet album.

Le scénariste suit le schéma habituel des histoires de Dylan Dog : un mystère enraciné dans le surnaturel, une enquête, des rebondissements, et un peu d'action. Pour nourrir son intrigue, il intègre une histoire dans l'histoire, celle de Sybill Warwick (racontée sur 8 pages). Il évoque les individus ayant été témoin des apparitions de la sorcière, dont les pauvres 2 sœurs Elen & Debra Leibnitz le 20 juin 1938, devenues folles, et internées à vie. Il ajoute quelques disparations ou meurtres supplémentaires (le pauvre chien Booghy et son maître Buzz Stanton, 42 ans). Il intègre quelques éléments surnaturels inquiétants comme des poupées de chiffons, des signes magiques tracés à même le sol, ou encore un escalier menant au Paradis. Le lecteur est donc en terrain connu, sachant pertinemment qu'il doit garder à l'esprit que dans les histoires mettant en scène Dylan Dog, le surnaturel ne se trouve pas forcément là où il l'attend. La tâche du scénariste n'en est donc que plus ardue car il sait qu'il s'adresse à des lecteurs sur leur garde.


Au vu de la date de parution de cette histoire, Nicalo Mari est donc déjà rompu aux histoires de Dylan Dog, avec une bonne habitude du personnage et de l'ambiance particulière de ses récits. Dans la mesure où l'histoire se déroule majoritairement dans les bois, et dans des intérieurs, il n'a pas trop de recherches à faire pour décrire les environnements anglais, avec leurs spécificités culturelles. Le volant de la voiture DYD 666 est bien situé à droite (par contre la voiture de Dylan Dog circule une ou deux fois à droite de la chaussée, certainement une voie de circulation à sens unique…). Les services à thé sont impeccables. Pour le reste l'aménagement des intérieurs ne présentent pas de caractéristiques très marquées, et il est impossible d'avoir une certitude quant à la foi de la congrégation que le prêtre Harry dirige. Cet artiste sait donner une impression générale de chaque lieu, sans devoir représenter une foultitude de détails.

Les personnages disposent tous d'une apparence immédiatement reconnaissable. Ils sont majoritairement longilignes, avec des tenues vestimentaires diversifiées, sans être non plus très détaillées. Dylan Dog ne quitte pas sa chemise rouge, son pantalon et sa veste noir, avec une coiffure un peu en bataille. Nicola Mari doit dessiner de nombreuses scènes de dialogue, auxquelles il sait donner vie. Il aime bien les plans rapprochés sur les visages, tout en variant les cadrages pour montrer le positionnement du personnage, sa posture, son activité. Les expressions des visages sont variées, pas toujours très parlantes. Il n'est pas toujours possible de déduire l'état d'esprit du personnage en regardant son visage.

Le lecteur se retrouve donc à côtoyer des êtres humains ordinaires, à hauteur d'œil, avec quelques plongées discrètes. Dans cet environnement ordinaire, il appartient à l'artiste de donner corps aux actes violents et aux éléments surnaturels. La première séquence de cette nature correspond au retour en arrière pour l'histoire de Sybill Warwick. Nicola Mari met en œuvre un encrage plus hachuré pour montrer qu'il s'agit d'une séquence du passé. La violence n'est pas montrée au premier plan, elle reste suggérée, sans devenir graphique. La séquence suivante comprenant un affrontement correspond aux séquences vidéo tournées par les chercheurs. À nouveau la violence reste suggérée par les mouvements des personnages, et le tangage des angles de vue. Même lors du meurtre du chien et de son maître, la prise de vue est éloignée sans montrer la brutalité ou les éléments gore.


Il en va de même pour les éléments surnaturels qui sont eux aussi relégués en arrière-plan, ou montré de manière vague quand le récit l'exige. Ainsi lors de la séquence du passé, le lecteur voit les mains de la sorcière transpercer le torse de 2 hommes, mais sans souci de réalisme, pour attester qu'il s'agit de racontars auxquels il n'est pas possible d'ajouter foi. Il dessine de manière beaucoup plus littérale (et un peu naïve) l'escalier du Paradis, page 79. Le lecteur arrive dans cette séquence avec la conviction qu'elle agit comme une métaphore, et que le choix de l'artiste est en phase avec l'intention de l'auteur. D'ailleurs quand le scénariste révèle ce qu'il en était vraiment, le lecteur se retrouve un peu atterré devant le simplisme de l'explication.


Le lecteur se laisse bien volontiers emporter dans ce récit hommage au Projet Blair Witch, aux côtés de cet enquêteur flegmatique, mais décidé. Il se laisse emmener dans ces bois mystérieux, baignant dans une légende inquiétante. Il fait le tour des suspects avec Dylan Dog et Claire, et il les regarde émettre de vagues hypothèses. L'hommage au Projet Blair Witch est respectueux, sans en avoir l'intensité, sans se l'approprier pour en faire autre chose. L'intrigue s'avère un peu faible, trop conforme aux attentes d'un habitué de la série, sans réelle surprise, sans prise de risque, sans implication émotionnelle du scénariste. L'histoire est plaisante parce que le lecteur retrouve un personnage qu'il apprécie, mais les autres protagonistes ne dépassent pas beaucoup l'état de dispositif narratif et la résolution de l'intrigue s'avère convenue (même le dernier mystère non résolu). Entre 3 et 4 étoiles en fonction de l'attachement du lecteur pour cette série.

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